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Critiques de livres


William CLIFF
La sainte famille
La Table ronde
coll. Lettres du Cabardès (et d'ailleurs)
2001
157 p.

Villégiature

 Qu'est-ce qu'un homme qui n'est pas en voiture et qui marche dehors à l'aide seulement de ses jambes ? Ce ne peut-être qu'un fou, ou un bandit. » Ou William Cliff. Qui a toujours préféré les rafiots aux supersoniques pour traverser l'Atlantique, les tortillards plutôt que le Thalys pour se rendre de Bruxelles à Paris (qu'il n'aime pas), l'auto-stop à la voi­ture personnelle ou de location pour aller d'une ville à l'autre. Mais surtout la marche à tout autre moyen de locomotion. Avec la possibilité de s'arrêter là où il veut — et visi­ter une église, suivre un garçon ou passer quelques heures avec un ami perdu de vue depuis longtemps... Les périples de William Cliff, nous avons pu, jusqu'à présent, surtout les lire dans ses recueils de poèmes, même s'il existait déjà une exception, Le pain austral paru aux éditions Tétras Lyre, un ouvrage en prose composé de courts récits de voyage et de déambulation, qui n'est pas repris dans la bibliographie officielle de l'auteur. En tout cas, La sainte famille est le premier de ses livres qui porte inscrit sur sa couverture le mot roman. Un roman comme les autres ? Evidemment non. Ce n'est pas parce que Cliff s'adonne au genre littéraire le plus com­mun qu'il en oublie son cher Villon, cesse de dire je et ne pose plus son regard de prome­neur solitaire — un rien désabusé — sur le monde qui l'entoure.

Le livre naît d'une proposition. Quelqu'un, que le romancier appelle le Baron, propose au narrateur de venir passer l'hiver, chez lui, à Montolieu, dans le Languedoc-Rous-sillon1. Il accepte, et aux dates prévues, « sac au dos comme un scout de l'ancien temps », se met en route pour le Sud. Le roman et ses déambulations commencent au moment de la réception de la lettre et aux hésitations du narrateur qui rechigne à s'enterrer dans un petit village alors que seule une sortie dans la ville atténue cer­taines de ses douleurs persistantes. Avant d'inscrire le roman dans le temps du voyage, Cliff chemine dans l'enfance, l'ado­lescence du narrateur (la sienne aussi, de toute évidence). Avec, tout d'abord, un re­tour sur sa naissance, et même avant. « Je suis né au début de la dernière guerre, au cours d'un hiver terriblement froid. Ma mère me portait déjà en elle alors qu'elle fuyait sur les routes de France. » Déjà le voyage. Et très vite les blessures existentielles. « D'aussi loin que je me souvienne, je la ressentais (l'exis­tence) comme quelque chose d'inopportun qu'on m'avait imposé sans me demander mon avis. » II y a la famille, l'école, l'inter­nat, la paresse... Les mêmes composantes que dans Autobiographie. Seulement ici, pas de vers mais une prose qui se déploie en brefs récits, en adresse directe au lecteur (toujours Villon) ou au Baron. Qui épouse le rythme du voyage — qu'il soit intérieur ou non —, et développe des phrases belles qui osent le subjonctif imparfait. La deuxième partie du roman est tout en­tière consacrée au trajet Bruxelles/Montolieu, avec les quelques étapes, les quelques rencontres inhérentes (les lieux, les gens) à tout voyageur flâneur. Le séjour à Monto­lieu occupe la troisième partie. De dîners en fête à la truffe, de découverte du pays en conversations (inachevées) avec le Baron, le temps passe lentement. Le livre aussi — pour notre plaisir. Pas question d'une prose contre la montre ici. Elle s'attarde sur les paysages, la vie et énumère quelques consi­dérations morales.

Est-ce que ce séjour aura été bénéfique au narrateur ? Il semble n'avoir pas trouvé ce qu'il cherchait. Quelque chose comme une illumination, une réconciliation avec le monde extérieur. Un retour à l'enfance apaisée ? Ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi, le narrateur l'a cherché autour de lui et surtout dans les églises où il est entré à plusieurs reprises. Mais là aussi le bruit et le bavardage ont tout envahi... Sûr que William Cliff rêve d'une autre époque, ce qui n'empêche qu'il nous donne l'envie et (un peu) la volonté de tracer notre chemin (de traverse) dans le monde d'aujourd'hui, qui n'est pas toujours celui que l'on croit.

Michel Zumkir

1. La sainte famille paraît dans la collection « Lettres du Cabardès (et d'ailleurs) » que dirige Jean-Claude Pirotte. Celle-ci accueille des livres écrits par des auteurs invités « en résidence » entre autres par l'association Lire en Cabardès. Elle a pour ambition de « montrer combien la province est universelle ». Le livre de Cliff est probablement la vision romancée de cette « résidence ».