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Critiques de livres

Bons baisers de Léo

« Je suis resté tel un hôte de passage entre ces murs nus », explique le narrateur de La Trinité Harmelin, « bien que j'eusse dès le premier instant aimé ce pays démesuré, presque écrasant. » C'est en effet dans l'ancienne co­lonie congolaise, entre Léopoldville et Braz­zaville, que Jacques-Gérard Linze conduit ses personnages — et ses lecteurs. Récit d'une tragédie familiale, révélée par une dé­ception amoureuse, chronique du milieu colonial et de la mentalité des « expatriés » ayant abandonné la métropole, discours ro­manesque d'un auteur sur la question de l'identité personnelle et de ses rapports avec les collectivités (les « Blancs », les « Noirs »), La Trinité Harmelin cristallise en moins de deux cents pages quelques thèmes récurrents de la littérature coloniale1. Les trois figures de la Trinité sont Mme Veuve Harmelin et ses deux en­fants, Michèle et Bernard. Depuis la dispa­rition dramatique de leur père, les deux jeunes gens ont constitué un îlot fusionnel avec leur mère, protégeant leur vie des as­sauts pénibles de la promiscuité coloniale. Mais au fur et à mesure que se renforçait cette communion d'esprit entre trois êtres, se mettait en place l'éventualité de briser les interdits sociaux, et principalement ceux du sexe. La tentation de l'inceste étant d'autant plus évidente que se révèlent peu à peu au narrateur les indices de la double vie de la tranquille Mme Harmelin... Huis-clos ou­vert sur les artères civilisées de Léopoldville, sur ses bars pour Européens et sur les cités occupées par les noirs, le roman ne peut se dénouer que de manière dramatique. Mais l'attention de l'écrivain semble s'être portée davantage sur le microcosme blanc que sur le « pays démesuré » et ses habitants. Reflet sans doute fidèle d'une époque où les boys servaient le whisky, les jeunes Noires ont « une odeur fauve » et une « perfection plas­tique » qui leur permet d'apaiser les tour­ments charnels des jeunes Blancs, sans qu'apparaissent une seule fois l'Histoire et ses bouleversements : un monde hors du temps, figé dans ses conventions sociales, à peine troublé par le(s) meurtre(s) de ceux qui enfreignent les lois. Le romancier de La conquête de Prague (Espace Nord, 1986) et du Moment d'inertie (Bernard Gilson, 1993), longtemps rattaché à la filière du Nouveau Roman, a connu le Congo des années 50. Mais il lui semble difficile de se départir d'une caractérisation assez stéréotypée des personnages et de la société au sein de laquelle ils évoluent, sans que son écriture s'accompagne d'une éven­tuelle distanciation.

N'est-il pas évident que la jeune maîtresse noire sera aimablement renvoyée chez les siens, que le narrateur conclura un mariage de raison pour oublier son dépit amoureux, et que la même gêne culpabilisante et endé­mique persistera au sein de la communauté blanche ? Jacques-Gérard Linze ne va pas au-delà de ce constat, et ne fait, au travers du destin des Harmelin et du narrateur, qu'effleurer les vies médiocres et vides de ces « hôtes de passage » au Congo.

Alain Delaunois

1. Voir notamment « Le petit Belge avait vu grand, une littérature coloniale », de Pierre Halen (Labor, 1993).

Jacques-Gérard LINZE, La Trinité Harme­lin, Le Rœulx, Ed. Talus d'approche, 1994, 156 p.