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Critiques de livres


Alain BERENBOOM
L'auberge espagnole et autres histoires belges
Le Grand Miroir
2002
150 p.

Berenboom et Walkowiak

Marcel Arland, qui s'y connaissait (mais lit-on encore Arland ?), dé­finissait ainsi la nouvelle : « c'est quand il y a un risque. Quelque chose comme un danger qui pèse sur le récit, qui le porte, qui n'éclate pas. Toujours la me­nace. » Je ne sais si Alain Berenboom connaît cette définition, mais il me semble que ses nouvelles en constituent une bonne illustration. On découvre ici un écrivain « lituano-polonais écrivant en français de Bruxelles ». C'est trop de modestie, Beren­boom : votre écriture, tantôt caustique (quand vous décrivez certaines mœurs uni­versitaires de chattemites), tantôt émou­vante (vos pages consacrées à la figure du père), tantôt chaleureuse (envers le chô­meur qu'un ministre gaffeur prend pour un des investisseurs auxquels il a bradé une usine vidée de ses ouvriers, envers les clan­destins parqués dans le hall transit de l'aé­roport de Zaventem), votre écriture est d'un bon faiseur, qui évoque un pays où tant abondent crevettes et chocolats que deux peuples ne peuvent qu'y cohabiter harmonieusement. Quoique... Il arrive que, lors de manifs provoquées par une énième guerre scolaire, un gendarme à cheval, sabre au clair, déboule dans la phar­macie paternelle. La potion magique concoc­tée par le petit pharmacien polonais et of­ferte à l'inattendu vainqueur du Tour de France de passage à Bruxelles, Roger Walko­wiak, aurait-elle mis un terme à son éphé­mère carrière ? Un sculpteur de savonnettes emprisonné réussira-t-il à faire passer le corps d'un gardien à travers le très étroit gui­chet de sa cellule ? La navrante bouille d'un leader facho, placardée à la veille des élec­tions communales, ne risque-t-elle pas de mettre à feu et à sang une petite rue jusqu'alors tranquille de la banlieue bruxel­loise ? Qu'une jeune Mongole d'Oulang Bator se révèle fine connaisseuse du Jules César de Shakespeare suffira-t-il à la tirer des pattes entreprenantes d'un illustre professeur spécialiste de la Mongolie extérieure (pour­quoi diable les Mongols sont-ils toujours ex­térieurs ?) ? La belle Anna dont le bras d'une rondeur parfaite et satinée hante les jours et les nuits de son professeur se présentera-t-elle à l'oral de tous les dangers ? Quant à la courte pièce de théâtre à trois personnages qui figure à côté des nouvelles (elle fut représentée en 2000 dans la salle des pas perdus du palais de justice de Bruxelles), c'est une parabole : on a paumé la chaudière du temple de Thémis ! Voici dès lors des personnages réduits à ne plus trouver en ces lieux que ce qu'ils y ont apporté. Nostalgie d'un Bruxelles qui brusselait. Souvenir d'un grand-père venu des Fouilles encrasser ses poumons sous le Borinage. Récriminations contre les « y a qu'à »... Constat de carence d'une école grâce à la­quelle, après neuf ans de flamand, on n'est pas fichu de demander son chemin à Anvers. Écœurement face aux magouilles et bavures policières (le coussin de Sémira Adamu). Les dialogues sont vifs, narquois, percutants, mais bon sang, on ne peut s'empêcher de penser à la vieille question de la littérature et des bons sentiments.

Pol Charles