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Critiques de livres


Françoise PIRART
La valse du pont suspendu
Ancrage
2001
288 p.

La valse est dans l'ombre

On peut prendre et reprendre le der­nier roman de Françoise Pirart et en jouer l'une ou l'autre variation au choix car la partition se lit de plusieurs façons. Roman psychologique, il décrit par le menu l'aventure intérieure d'une femme qui glisse insensiblement dans une vie paral­lèle pour aboutir à ce qu'on appelle la folie. Étude de comportement donc, mais surtout voyage à l'intérieur d'une conscience, le récit prend en compte les affects, les désirs, les souffrances de ce changement d'état, sans exclure l'impassibilité, l'incompréhension ou la complicité des témoins. Roman historique aussi puisqu'il transporte le lecteur du Paris contemporain à la Vienne des années 1830, de l'avenue Foch à la Cour d'Autriche et à ses fastes, ses espions et ses valses. Roman d'aventures certainement, avec son lot d'obstacles à surmonter, de voyages, de re­bondissements, de rencontres imprévues ou manquées. Roman sentimental enfin où l'amour ne joue pas le rôle attendu puisqu'il n'est concevable que dans la voie impossible d'un autre temps, d'une autre vie ou de la déraison. Tous ces fils se nouent dans une trame sociale si on veut bien admettre que la société commence avec le couple. Un couple mal assorti dont la vie serait plate et insipide parce que la société et son irréductibilité inégalitaire ne lui permet pas d'être autrement. Même s'il n'y a qu'Élise, la protagoniste, qui s'éloigne résolument d'une réalité hostile, tous les personnages sont engoncés dans un corset de conventions qui les privent du simple exercice d'exister. Qu'on soit un ténor du barreau, une vieille fille bourgeoise ou un cadre de banque, on est dépourvu d'émotions, rivé dans un provincialisme mental, et réduit à vivoter dans un réseau d'habitudes mesquines et de raideurs aveu­gles, tout en trouvant cela parfaitement nor­mal. Tout irait pour le mieux, c'est-à-dire médiocrement, si le mot amour, découvert dans le journal intime d'une jeune française vivant en exil au siècle dernier, n'apparaissait en lettres de feu aux yeux de la plus dépour­vue et ne bouleverse tout ce petit ménage sans ronron. Le mot amour rime avec mu­sique, avec danse et pourquoi pas avec folie : la vraie vie quoi ! Où font irruption les chiens fous et affectueux, les musiciens punks, les guimbardes et les volants jaunes, et même la faim, avec ou sans eau fraîche. Schématiquement, ce pourrait être un vrai sociodrame, ou une histoire sordide. Rien de tragique en surface pourtant, la plume de Françoise Pirart est légère, elle court vite, et l'histoire est enlevée, avec allant, avec hu­mour souvent, quitte à grincer un peu. Bluette ou conte de fée ? Certainement pas. C'est à côté, juste à côté, cette valse, jouée sur un piano élégant et légèrement désac­cordé, dans une grande salle vide, pleine de marbre et d'échos. Comme autrefois, comme aujourd'hui.

Jeannine Paque