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Critiques de livres


Julos BEAUCARNE
L'avenir change de berceau, 3 Etoiles 3 Reines 3 Rois
Liège
Editions du Perron
1995
Avec des illustrations de Johanna
125 p.

La Vie était au commencement des commencements

Julos Beaucarne, personne ne l'ignore, regarde et pense le monde en homme de cœur. En poète. En fou écrivant. Voire en fou réécrivant, puisque L'avenir change de berceau est une xème version d'une des légendes les plus fameuses de notre culture, celle de l'Epiphanie et de son avant : le commencement de la Vie, la création de la femme et de l'homme, l'Immaculée Con­ception, la naissance de Jésus, la visite des Rois Mages... On ne va pas continuer à égrener ainsi les épisodes de la (pré-)histoire du Christ car là ne se cache pas la particula­rité de cette pièce de théâtre qui est aussi un beau livre, comme il est dit lors du négoce de fin d'année, au texte illustré par des aquarelles aux tons orangés et bleutés issues du pinceau de Johanna. Ce qui caractérise avant tout cette féerie, c'est la liberté avec laquelle Julos Beaucarne brasse, réinvente les mythes, les légendes, les sciences, la linguistique, l'ésotérisme (parfois de grand magasin)... au point d'en faire une œuvre au syncrétisme jouissif et bon enfant où s'entrechoquent les cultures : on y croise aussi bien Bouddha que Jésus, on y lit des mots empruntés au théâtre de marionnettes Al Boutroûle ainsi qu'à la langue latine et l'on y parle de la création de la première femme comme du récent dé­cret de la Communauté française concer­nant le féminin des noms de métier... La féminisation du monde semble d'ailleurs la grande croisade de Julos Beaucarne car, pour lui, la femme prime sur l'homme : elle guerroie moins que son congénère, dans son ventre se forment des êtres des deux sexes, elle se sent fragile donc elle est forte... Plus largement encore le féminin est l'origine de tout, du monde, de nous... même si « dès le moment où nous sortons du ventre de notre mère, nous devenons toutes et tous des émi­grés ». Duras ne disait-elle pas aussi que notre arrachement au corps maternel, notre mise au monde commençait par des hurle­ments de douleur ?... Dès lors le barde Beaucarne dénommé Dieu et J'appelle la Vie, Eve ne sort plus de la côte d'Adam mais Adam est façonné par Eve. Ce n'est pas tout, prolifèrent encore une myriade de phantasmes de la sorte que nous éviterons de révéler (pour ne pas en briser la poésie) et qui sont là pour répandre l'énergie et la force. Ou plutôt pour que nous retrouvions ces deux composantes en nous-mêmes, là où elles se nichent. A nous ensuite de les ca­naliser et d'inventer un monde meilleur où « plus on s'aimera trop, moins ce sera assez ». Un monde qui ne se réalisera que si chacun va au plus loin du plus loin de soi-même. Est-ce que le message de Julos Beau­carne sera entendu des six milliards de ter­riens ? Pas sûr. Mais pour sûr qu'il touchera les gens, ceux qui sont restés simples et proches des enfants, ceux qui croient encore aux légendes et à un avenir perfectible. Il en existerait encore...

Michel Zumkir