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Critiques de livres


Jacques SCHNEIDER
Le balcon de Leuca
Edifie L.L.N.
1994
195 p.

Palimpseste psychanalytique

Ce que je goûte dans un récit, ce n'est donc pas directement son contenu ni même sa structure, mais plutôt les éraflures que j'im­pose à la belle enveloppe : je cours, je saute, je lève la tête, je replonge. »' J'ajoute : je pi­core. Parce qu'une lecture du livre de Jacques Schneider de la première à la der­nière ligne m'aurait été impossible. Aurait été un mur contre lequel je me serais cassé la tête. Alors j'ai préféré contourner l'obs­tacle pour que la lecture ait lieu tout de même. Trouve sa voie dans cette logorrhée, où les mots forment bloc. Qui viennent d'un élan intime peut-être trop intime. Qui sont issus d'une pratique psychanalytique trop présente. Pourtant c'est sûr, il y a fic­tion. Mais c'est comme si sa construction avait été effacée et que Jacques Schneider eût réécrit par-dessus les mots qui disent les blessures et tentent de les guérir. Le balcon de Leuca, livre palimpseste d'un psychana­lyste donc. Mais cette profession, Henry Bauchau et Jacqueline Harpman l'exercent aussi. Mais s'ils en subissent eux aussi forte­ment l'influence, ils se tiennent à une cer­taine distance de son langage. Le plus étrange dans l'écriture de Jacques Schneider c'est que, bien qu'il confronte le monde intérieur et le monde extérieur avec des éléments concrets de la nature, de la ville, il en arrive à être obscurément abs­trait. C'est qu'en cherchant les associations de mots les plus originales, il reste la plu­part du temps dans les clichés de pensée et de littérature. Cela commence dès le début du livre avec l'exposition des affres de la page blanche : « Page un, page première, l'enfer de la page nue, du cœur encore plus nu et qui voudrait s'épancher, s'expliquer, l'enfer de nos châteaux de pages qui tom­bent les unes sur les autres, s'effaceront comme un rêve de l'autre côté des mé­moires. Qu'avais-je à dire de moins banal, de plus étrange que les autres ? » La ques­tion reste posée...

Michel Zumkir

1. Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Edi­tions du Seuil