Souvenirs véritables
« On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments » aurait dit Jean Cocteau. Avec son second livre, Le cactus et l'anémone, Jacqueline Bernard semble vouloir prouver le contraire. Car c'est le bonheur brut de l'enfance et du début de l'adolescence qu'elle exprime avant tout. La narratrice raconte, en trente-six petits chapitres, la vie d'une fillette de l'entre-deux-guerres, une vie partagée entre les beaux quartiers de Bruxelles et une maison de campagne en Ardennes, entre un frère espiègle et des adultes trop imposants, entre ses chiens et ses cousins. Mais peut-être ne s'agit-il pas tout à fait de littérature ? Le style, classique et pur, est sans doute ici plus un outil qu'une raison d'être. Dès les premières pages, le lecteur est en effet persuadé que Jacqueline Bernard décrit sa propre enfance avec l'intention d'être tout à fait fidèle à ses souvenirs. Ceux-ci ne lui suffisent d'ailleurs même pas, tant est grand son souci de la vérité, comme si elle faisait plus un travail d'historienne que de romancière. Des photos illustrent le récit, la narratrice cite ses sources (références à d'autres livres de souvenirs, ou à des recherches qu'elle a effectuées), donne parfois directement la parole à un autre témoin de cette époque, nous confie avec précision certains détails sur le parcours, la carrière, les liens de parenté ou l'adresse des personnages secondaires, ce qui ralentit peut-être inutilement la lecture. Alors : « La littérature est l'essentiel ou n'est rien », a écrit Georges Bataille. Ici, précisément, ce sont les petits riens qui font le plaisir du texte. Les anecdotes familiales, les angoisses familières, les jeux et les courses. L'écart entre le conformisme des adultes et les élans de l'enfance (décrits ici avec tout le sérieux qu'ils méritent). Et puis, ce qui constitue peut-être les meilleures pages du livre, les passions et les sublimations de la prime adolescence : une flamme de fillette pour une grande, une fascination presque mystique pour la musique. Tous ces petits riens, où se niche peut-être l'essentiel, sont évoqués avec le souci du détail vrai, sans donner lieu à aucune leçon ni à aucune envolée lyrique. Le cactus et l'anémone, s'il fallait vraiment le classer quelque part, se trouverait sans doute entre la littérature proprement dite et l'album de famille. Mais c'est tout le mérite de Jacqueline Bernard d'avoir écrit un livre juste et sans prétention, sensible et doux, une recherche d'elle-même à travers son passé, qui reflète son amour profond de la mémoire.
Laurent Demoulin
Jacqueline BERNARD, Le cactus et l'anémone, Enfants de l'entre-deux-guerres, Paris-Bruxelles, La Longue Vue, 1998