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Critiques de livres


Denis MARION
Le cinéma selon André Malraux
Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma
1997
176 p.

L'Espoir-cinéma

1938, Espagne républicaine. A Barce­lone, aux studios de cinéma de Monjuich, André Malraux réalise son premier — et unique — opus cinématogra­phique, Sierra de Teruel, inspiré en partie de son dernier livre L'Espoir. Il a reçu carte blanche de l'armée républi­caine pour construire un film qui sensibilise un large public. Pas question de doubler l'austère documentaire de Joris Ivens com­menté par Ernest Hemingway, Terre d'Es­pagne. Ce sera une fiction, un récit avec des personnages individualisés incarnés par des comédiens professionnels, la reconstitution des événements et non la captation du réel en direct.

Les temps sont difficiles, on tourne entre deux bombardements ennemis, puis la nuit, quand l'électricité est à nouveau accordée au studio. L'équipe survit à coup de tickets de rationne­ment, au gré des voitures en panne et de la pellicule qui se raréfie et qu'on n'en finit pas d'attendre.

Etrange situation d'un pays foudroyé par la guerre civile où un gouvernement tente de produire un film de fic­tion en dépit de conditions de vie dramatiques. Etrange projet : là où tout cinéaste aguerri aurait renoncé devant tant de difficultés prévisibles, Malraux persiste et signe un chef-d'œuvre qui restera ce­pendant inachevé... Participer en direct à la créa­tion de Sierra de Teruel, c'est l'aventure très particulière que vécut Denis Marion (auteur drama­tique, critique de cinéma et critique litté­raire) au moment même de la guerre d'Es­pagne.

Son récit de première main fut publié jadis, en 1970, aux éditions Seghers ; il entre au­jourd'hui dans la petite bibliothèque des Cahiers du cinéma et permet de revivre l'aventure espagnole et cinématographique de L’Espoir sous des angles multiples. Témoignage, donc : les péripéties du tour­nage, tout d'abord, sont racontées en plan séquence, depuis les pannes qui paralysent le studio jusqu'aux mobiles profonds d'André Malraux qui justifient la philoso­phie d'une démarche. La recherche esthé­tique des plans (lumières et ombres sur la façade des maisons où siègent les paysans, blancheur des murs le long desquels les gué­rilleros courent comme des insectes, le dé­part de l'avion dans la nuit) n'occulte pas la volonté politique de tous les instants. Coscénariste, Denis Marion témoigne des mo­ments agités de la genèse de l'œuvre, mais il compare aussi scénario et roman, scénario et montage final, inscrit le projet au sein d'une histoire du cinéma globale. En sus de ces analyses, il se retourne ensuite face à la caméra, face aux projecteurs et détaille le contrechamp du film, les anecdotes, les péripéties individuelles, depuis le recrutement cavalier d'un figurant jusqu'aux aventures des armes et des saucissons entre buffet et frigidaire... Misères et grandeur d'un ci­néma en train de se faire en temps de guerre et de disette.

Deuxième axe : des textes d'André Malraux précisent au fil des ans la vision qu'il préco­nise du cinéma, des éléments du scénario de Sierra de Teruel, le synopsis d'un autre pro­jet. On voit que Malraux, s'il fut l'homme d'un seul film, poursuivit longtemps sa quête de cinéma. Troisième angle, les autres témoignages, Max Aub et Elvira, une secrétaire espa­gnole.

Dernière approche et non la moindre, la vision des controverses et des critiques depuis la première du film jusqu'à 1970 recul, l'occasion de mises en regard bien intéressantes non  seulement sur le film mais aussi sur le travail du critique...

Winnie d'Arcole