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Critiques de livres


Le combat du droit d'auteur
(Anthologie historique, suivie d'un entretien avec Alain Berenboom)
textes réunis et présentés par Jan BAETENS
Les Impressions nouvelles
2001
187 p.

La gloire ou la monnaie

Rassemblant des textes peu connus et y introduisant par des notices éclai­rantes, Jan Baetens nous offre une anthologie historique du combat pour le droit d'auteur. Dès 1665, Racine entrait en résistance en retirant sa pièce Alexandre à la troupe de Molière pour la donner à une autre, plus généreuse. Dans son Diable boi­teux (1707), Lesage renvoyait dos à dos au­teur et libraire : celui-ci, finissant d'impri­mer un livre à succès, rêvait d'en publier une seconde édition sans en avertir l'auteur, qui répondait à ce tour de cochon en ven­dant une même œuvre à trois libraires diffé­rents. Un Voltaire confortable (cent mille livres de rente, s'insurgeait l'utopiste Louis-Sébastien Mercier, qui ne connaissait pas « de classe plus malheureuse que celle qui cultive les lettres ») s'autorisait le luxe de snober la contrefaçon, qui lui paraissait le moyen le plus propre à répandre les idées des Lumières.

Beaumarchais, lui aussi, disposait d'une belle fortune ; son mérite fut d'autant plus notoire de fomenter une grève des auteurs de théâtre contre les comédiens français jusqu'alors tout-puissants, auxquels il adres­se une nasarde fort plaisante : « On dit aux foyers des théâtres qu'il n'est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a rai­son : la gloire est attrayante ; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner 365 fois... » La contrefaçon, encore : Rétif, tout à la fois typographe, imprimeur, libraire et écrivain, se déchaîne majusculement : elle « est un Vol ; un Attentat à la propriété la plus sa­crée ; une Infamie, un Sacrilège ». Et dans sa préface au Lys dans la vallée, Balzac rap­pelle perfidement que la Revue de Paris « a nommé Léopold CONTREFAÇON 1er... » Et Jules Janin, un des critiques les plus écoutés de l'époque romantique, de révéler que Nerval, envoyé en mission en Belgique par le ministre de l'Intérieur, rédigea un rapport (dommage : le texte est perdu) sur la contrefaçon et les moyens de l'éradiquer.


Édité par Ginette KURGAN-VAN HENTENRYK et Valérie MONTENS
L'argent des arts
Éditions de l'Université de Bruxelles
2001
250 p.

A contre-courant mais fidèle à lui-même, Proudhon considérera que la propriété intel­lectuelle est sans fondement ; pire : « la revendication de la propriété est la cause majeure du déclin irrémédiable des lettres ». Sans doute le travail de l'écrivain doit-il être rému­néré, en l'occurrence par l'Etat ; mais, une fois l'œuvre publiée, elle doit circuler librement. Dans la dernière partie de l'ouvrage, Baetens s'entretient avec Alain Berenboom, roman­cier et spécialiste du droit d'auteur, à propos de la situation actuelle de ce droit. Le juriste souligne d'entrée de jeu que les différences entre les concepts de propriété littéraire à la française et de copyright à l'anglo-saxonne tendent à s'effacer, et que ce n'est pas ce der­nier modèle qui l'emporte : en effet, il favori­sait le consommateur-lecteur, tandis que le système français s'avère plus juteux pour l'in­dustrie éditoriale. Suivent des réflexions sur les appareils de reproduction : la redistribu­tion des redevances qui les grèvent se fait trop souvent à l'aveuglette, mais un meilleur système reste à imaginer ; on enchaîne avec la nécessaire existence des sociétés d'auteurs, même si elles sont généralement dirigées par des technocrates, les auteurs rechignant à s'y impliquer ; avec un débat sur le prêt payant en bibliothèque, que ponctue cette réflexion, à mon avis judicieuse, de Berenboom : « il vaut mieux que la bibliothèque achète les livres, et l'auteur s'y retrouve, puisqu'il touche des droits sur les livres achetés, que de demander quelques centimes à un emprun­teur qui seront répartis forfaitairement. » A la fin de l'entretien, Baetens pose une question plus générale : « ne voit-on pas re­surgir, à travers cette fois-ci l'argent public dont on sait l'importance dans le domaine du théâtre et de l'audiovisuel, mais aussi de plus en plus dans le domaine littéraire, des formes de dépendance qu'on croyait éteintes ? »

Un ouvrage publié récemment par les édi­tions de l'ULB entreprend partiellement de répondre. Un séminaire de licence en his­toire avait choisi, il y a cinq ans, d'étudier les dépenses consacrées par l'État belge à la culture entre 1830 et 1940. Ce séminaire s'ouvrit ensuite à la pluridisciplinarité : le rejoignirent des spécialistes de l'histoire lit­téraire belge, de la peinture, du droit, du théâtre, de la musicologie. L'ULB organisa un colloque en 2000 — en voici les actes. Nos voisins du sud avaient fait, dans le do­maine, œuvre de pionniers ; en témoigne un ouvrage intitulé L'État et la culture en France au XXe siècle. On put y lire une histoire pi­quante. Il semblait communément admis que la création, en 1959, du Ministère des Affaires culturelles résultait d'une grande conception gaullienne ; eh bien nenni : il s'agissait, plus prosaïquement, de jeter un os à ronger au pauvre Malraux, éjecté par un Mongénéral agacé du Ministère de l'infor­mation. Reste que l'initiative française fit des petits : le monde entier se mit à créer frénéti­quement des ministères de la culture... En ce qui concerne la Belgique, les contri­butions présentées lors du colloque de l'an 2000 évoquent, avec l'abondance de statis­tiques et de références que le genre impose, des sujets aussi divers que le droit public belge de la culture, la politique muséale, les prix de Rome, la fondation de l'Académie de langue et de littérature françaises, les in­terventions en faveur des théâtres de comé­die, etc. Ce qui retiendra surtout, me semble-t-il, l'intérêt du profane, c'est de voir les intervenants s'organiser en deux camps. Les uns prétendent qu'il n'y a pas eu de politique culturelle proprement dite avant la nomination (1961) d'un ministre de l'éducation et de la culture. D'autres, plus nombreux, auscultant les budgets, constatent que les pouvoirs publics se sont engagés en faveur des sciences, des arts et des lettres bien avant cette date : les sommes allouées à la culture ont été multi­pliées par 10 de 1837 à 1912. En particu­lier, plusieurs communications insistent sur « le caractère ancien de l'engagement de la ville de Bruxelles au service des arts » : la capitale céda son musée à l'État et construi­sit le théâtre de la ... Monnaie.

Pol Charles