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Critiques de livres


Alfredo DIAZ FEREZ
Le désert à Madrid
Eden Production
2004
41 p.

Brève rencontre à Madrid

D'abord, il y a la ville, tour à tour blanche de soleil et enfumée d'un gris sans nom. Madrid, ville de violence, de folie et de mort, ville vide peut-être sous la plume d'Alfredo Diaz Ferez. Ville d'amour aussi, et pleine de ce désir qui impose sa loi dans l'Espagne noire des poètes, de Lorca à Almodovar, sans oublier notre Verhaeren qui en a célébré l'or funèbre. En­suite, il y a un homme, lui. Il rencontre une femme à l'aéroport, elle. Il l'aper­çoit plutôt, parce que tout en elle attire le regard. Il se met à la suivre, « joue les flics en attente » au seuil de tous les lieux qu'elle fréquente : hôtel, opéra, théâtre, bars, sex-clubs ou simplement rues, jusqu'à ce qu'elle le remarque. Alors, il faut faire vite, se retrouver dans une chambre, n'importe laquelle, mi­nable de préférence, mais à l'abri de la ville, de sa rumeur, de sa lumière, de son obscurité. Le jeu s'inverse presque aussitôt : elle s'offre, elle le veut, lui ne la veut plus. Il aime toujours ailleurs, cet homme qui l'a quitté. Il l'aime à vouloir en mourir. C'est elle qu'il pour­rait tuer cependant. Elle aussi a aimé ou aime encore.

Les heures passent, et Madrid change de couleurs et de bruits. Madrid sordide, Madrid vivante peut-elle aider à oublier sinon à mourir ? Pleine ou vide, rouge ou sombre, toujours éclatante, elle avive la mémoire ou joue avec l'oubli, c'est selon. De références littéraires avec cita­tions implicites à la poésie toute crue et ingénue, du désespoir à fleur de mots à l'envol vers la beauté toujours recom­mencée, Alfredo Diaz Ferez décline toutes les possibilités de dire l'amour et le désir, dans cet ordre-là ou dans l'ordre inverse, ce qui revient à redoubler ou la souffrance ou le plaisir de la lecture. Est-il vraiment un roman, celui-ci qui se­rait le premier de l'auteur ? Un bref roman, comme est brève la rencontre qu'il nous raconte, mais un roman qui ne demande qu'à se prolonger, peut-être aussi comme cette rencontre improbable, et qui va au-delà du point final, en mé­moire d'un certain Rimbaud qui intitu­lait « roman » son poème à dix-sept ans. Qu'on ne s'y trompe pas, le désert est habité à Madrid :

Tu regardes par la fenêtre, l'air est si doux. Les rues sont pleines. Il doit y avoir des gens aux terrasses des cafés, des prostituées et des travelos, extraordinaires comme des dieux, et tout aussi nus que des dieux, qui sont prêts à donner la jouissance. Il y a les familles de Madrid, il y a les dealers de Madrid. Et les strangers by night qui croient encore que l'Espagne est une cor­rida qui finit mal. Les enfants jouent tou­jours à trois heures du matin. L'air est doux et embaume les œillets rouges et la fleur de jasmin. Autour des lumières bleues et orange, les insectes sont noirs.

Jeannine Paque