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Critiques de livres


Philippe LEKEUCHE
Cette maladie au nom perdu
Remoulins-sur-Gardon
Editions Jacques Brémond
2005

La poursuite du poème

Dans Cette maladie au nom perdu, Philippe Lekeuche se livre à un travail d'une infinie modestie. Il consigne les seules traces scripturales qui seraient encore possibles quand le poète a conscience qu'il écrit après, qu'il n'est plus capable que de produire une poésie de L’après— après la démystifica­tion des pouvoirs du langage par les avant-gardes et les linguistes, après la perte de la foi, après les assertions su­perbes qui clament que « la vraie vie est ailleurs » ou que « Dieu est mort »... Dès lors, il prend la parole non pour dire mais pour « avec les mots, des mots (s)e défaire », « cercle impossible et qui (l)e cerne ». Et il guette le « chant » des choses qui peut venir de n'importe où, comme une « perle » dans « les coupe-gorge ». Le poème qu'il écrit n'est que l'attente vaine du poème, sa poursuite impossible. Il y a trop de doute, trop de lucidité, pour qu'il y ait à nouveau poé­sie, vie et amour : « Cette maladie, au nom perdu, est-ce l'existence, / Une guérison de nos certitudes ? Et l'amour qu'autrefois /Je croyais vivre et savoir, est-il / Cet extrême abandon à ce que j'ignore / Et qui me connaît ? » Quand « Poésie » « surgi(t) » pourtant « plus lucide que Dieu, l'idole », elle est elle-même doute dévastateur, elle a la violence d'un non, de tous les non qui déboussolent l'indi­vidu et lui font perdre pied. Pour écrire une poésie qui paraît parfois regretter son hyperlucidité — la perte de son innocence —, Philippe Le­keuche aurait pu jouer sur la décons­truction du signifiant — puisque nous ne croyons plus au langage, que nous « démasqu(ons) les métaphores » — ou sur le recours à une expression minimale, tendue, triturée, aux limites de l'intelligible, dans une esthétique pro­che de celle de Christian Hubin dans ses derniers recueils. Il a choisi un re­gistre plus explicite, où la méditation s'exprime sans détour, où sont présents également de menus écarts syntaxiques et... des métaphores — puisque, évi­demment, l'on ne peut s'en passer, comme le prouva d'ailleurs naguère, par ironie et par l'absurde, la phrase de François Jacqmin « La métaphore et l'inconduite partagent la même racine ». Se déployant sur plusieurs vers libres, en une période presque solennelle, la phrase de Philippe Lekeuche acquiert une amplitude qui sied parfaitement à la gravité de son propos. La volonté, certes discrète, de placer la forme à l'unisson de la réflexion apparaît d'autre façon dans un des derniers textes du re­cueil où le poète, célébrant L’avant, « la musique en ce temps-là », revient à un mode d'expression poétique ancien — ou, plus exactement, à ce qui le symbo­lise, à ce qui est le symbole le plus com­mun et le plus évident de la poésie de langue française, à savoir la rime. Plus qu'une plaquette de transition, Cette maladie, au nom perdu, me semble constituer un jalon pertinent dans une œuvre méditative d'une grande cohé­rence.

Laurent Robert