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Critiques de livres


Le labyrinthe des apparences
Revue de l'Université de Bruxelles
Editions Complexe
Pour s'abonner : 50 Avenue F.D. Roosevelt, CP 175, B-1050 Bruxelles
250 p.

Le labyrinthe des apparences, un collectif pour penser la pluralité

C’est un exercice périlleux que de penser l'apparence en dehors des dualismes qui l'opposent tantôt à l'être, tantôt au réel ou encore à la vérité et autres essences. C'est pourtant à ce type de pensée, qui prend des risques, que nous convie Le labyrinthe des apparences. Qu'ils soient techniques ou critiques, les textes qui composent ce numéro de la Revue de l'Université de Bruxelles, nous exhortent à penser la pluralité, autrement dit, à aban­donner la bonne vieille logique de l'identité. Pénétrer dans ce labyrinthe revient en somme à s'ouvrir au devenir, à accepter d'être dupé pour se connaître en tant que dupé, factice et changeant. Pour sortir de ce labyrinthe il faudra donc dès l'entrée aban­donner la stabilité et l'assurance du concept de réalité.

Avouons-le, une telle attitude ne s'adopte pas sans quelques peines. Il n'est pas toujours aisé d'être confronté aux abysses d'incerti­tudes sous-jacents à une pensée de l'appa­rence. Ainsi en va-t-il du texte déli­cieusement dérangeant d'Antoine Pickels (dramaturge) sur les spectacles transfor­mistes. S'interrogeant sur la multitude de nos interprétations face au travesti, il conclut sur la nécessité de faire semblant de croire à la fausseté du personnage afin de laisser s'ou­vrir notre propre identité. Bref, laissons le transformiste nous transformer. De telles in­vites nous sont également adressées à l'égard de nos jugements concernant les apparitions religieuses, la magie ou encore l'usage des masques en Afrique. Ces provocations à l'ou­verture sont heureusement introduites par un ensemble de réflexions critiques sur la distinction philosophique entre réalité et ap­parence.

Dans un texte-manifeste nietzschéen, par exemple, Eric Clemens donne le ton en ré­solvant les difficultés soulevées par la défini­tion du champ philosophique en terme d'apparence. Une nouvelle fois, c'est par une attitude radicale, centrée sur la chose même et aidés de tous les instruments cri­tiques de la philosophie que nous rendrons notre pensée créatrice. Car, en définitive, c'est bien de cela qu'il s'agit. S'il n'y a pas de guide pour traverser ce labyrinthe, c'est peut-être qu'il se consti­tue lui-même comme un guide. Décrivant le caractère paradoxal, confus, presque anarchique du monde des apparences, ce collec­tif pluraliste ne nous donne pas moins envie de croire, d'élaborer des fictions, d'être dans ce monde dans un processus de créa­tion, de libération.

Une analyse sociologique du « mensonge » légitime (de Claude Javeau), un témoignage assorti d'explications sur les pratiques iden­titaires telles que le piercing et le branding (d'Erik Rémès), ainsi qu'une description du mouvement gothique en termes d'ontologie du paraître, participent également de cet enthousiaste mouvement de réhabilitation des apparences.

Loin de tout académisme, la Revue de l'Uni­versité de Bruxelles, dirigée par Jacques Sojcher, se veut « un haut lieu de débats contradictoires et de réflexion passionnée ». La déconstruction du dogme de la réalité que constitue ce numéro témoigne à souhait d'une ambition réussie. En effet, de la pho­tographie à la politique, de la philosophie au cinéma pornographique, les positions mo­rales souvent en marge de la tradition prises par les collaborateurs du labyrinthe des apparences réveillent une interrogation qu'il est bon de ne pas laisser sommeiller !

Kathleen Lemal