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Critiques de livres


Nicolas FLORENCE
Le mal embouché
Librairie-galerie Racine
2002
320 p.

La rage d'écrire

Son nom a l'élégance choisie d'un pseu­donyme : Nicolas Florence. Sa biblio­graphie laisse rêveur : près de vingt-cinq titres  (nouvelles,  romans,  poèmes, pièces de théâtre, et même une romance), parus à diverses enseignes : Temps mêlés, Saint-Germain-des-Prés, Le Milieu du Jour, Le Passant Distrait...

Je le découvre à travers les deux derniers : Le mal embouché, roman picaresque torren­tiel et débridé ; Voyage en Italie, une fantai­sie tendre, drôle et mélancolique. Perplexité ! Sentiments mélangés. Mais une certitude : voici quelqu'un qui a le culte — l'ivresse ! — des mots ; la passion — la rage ! — d'écrire.

Commençons par le roman, qui nous trans­porte au XVIIIe siècle. Au fond d'une pri­son où il a été jeté, à peine sorti de l'asile de Charenton, Donatien-Aldonze-François, of­ficier de cavalerie banni, écrivain pestiféré, atteint ses cinquante ans en ce jour de juin 1792. Moment propice pour dresser un bilan, embrasser du regard le passé. Je me retourne et que vois-je ? Quatre murs. Heu­reusement, la mémoire les franchit, les abo­lit. Alors, fouettant ses souvenirs et son écriture comme il éperonnait son cheval, le châtelain déchu revit l'épopée endiablée (qui fut parfois l'épopée de l'ignominie) qui l'a lancé sur les routes de France, de Bo­hème ou d'Italie.


Nicolas FLORENCE
Voyage en Italie
Bernard Gilson éditeur
2002
104 p.

Voluptés barbares, combats sauvages, sup­plices cauchemardesques, fureur libertine d'un boutejoie jamais assouvi se déploient au galop d'une cavalcade effrénée, dans une langue fiévreuse qui se grise de ses inven­tions et de ses prouesses. Accrochez-vous : Donatien ne nous épargne rien ! Il se présente d'ailleurs comme vif d'idéation, et la tête tisonnée par la capri­cieuse musique des mots, frénétique jusqu'à exténuer le fantasque, enivré par un style chaque jour plus turbulé. Les oasis sont rares : l'amour de Pélagie, épouse idéale, éternel refuge, jusqu'au jour où elle lui fera comprendre que leurs che­mins, leurs cœurs se sont trop éloignés pour se rejoindre encore ; la tendresse d'un ami sûr, Ruggero, médecin râpé par les malheurs humains, son protecteur et confident, dont la mort le laisse orphelin. Foin des regrets déchirants ! Une impé­tueuse profession de foi l'emporte sur toutes les blessures, les trahisons, les amertumes : Qu'on sache que le gentilhomme ici sous ver­rou, lie de son éducation, rendu de barbarie, ne s'hallucine que d'une chose : la croyance en la vertu propitiatoire du jouir ; qu'il ne reven­dique ni ancêtre ni successeur et ne possède qu'un dessein : démoraliser, abattre, subvenir. N'est-ce point la forme suprême de l'art que celle qui démolit la création ! Le personnage du marquis de Sade (Dona­tien-Alphonse-François, époux de Renée-Pélagie, né à Paris en 1740, mort en 1814 à l'hospice de Charenton où Napoléon l'avait fait enfermer) habite cette ode à toutes les transgressions, portée par une ténébreuse conviction : quand l'homme a passé le pre­mier seuil du mal, il lui faut à tout prix pul­vériser tous les autres.

L'horreur, rêvée ou non, est-elle mon blason ? s'interrogeait Donatien.

Changement radical de ton, d'esprit, d'épo­que, de couleurs dans ce Voyage en Italie où Baptiste se demande plutôt : le bonheur n'est-il fait que d'instants, et l'amour, de so­leils magiques et d'éclipsés ? Pourtant, nul pays au monde n'est plus propice que l'Italie au vagabondage amoureux. Plus accordé à la folie douce du voyageur lunatique, inspiré par ses humeurs, la nuance du ciel, le murmure du vent, et certain d'y rencontrer à chaque détour la beauté, la poésie, l'émotion. De Venise à Sienne, de Rome à Naples, Savina et Baptiste inventent des itinéraires imprévus, semés de péripéties pas forcément romantiques, jouent à se perdre et se re­trouvent. Entre fantaisie et ferveur, humour et effusions, gourmandise de tout voir et farniente sous les cyprès, leur voyage en Ita­lie devient le nôtre. Réveille (mais dor­maient-ils ?) des souvenirs éblouis et l'élan de partir.

Les croquis aquarelles de Dany Gilson parti­cipent à la fête et confirment avec une grâce légère l'envolée de Lamartine qui ouvre ce joli livre et le résume : L'Italie pour moi n'est pas un pays, c'est un nuage ! Ce n'est pas de l'air qu'on y respire, c'est de l'âme !

Francine Ghysen