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Critiques de livres


André-Marcel ADAMEK
Le plus grand sous-marin du monde
Le Castor Astral et Bernard Gilson Éditeur
Bordeaux/ Bruxelles
2000
160 p.

Un conteur

Une cité au bord de l'océan, après avoir subi les assauts répétés de la pollution, est désormais habitée par une faune de déshérités tous plus ou moins alcooliques. Seul subsiste, de l'ancienne acti­vité économique de la région, un immense atelier de ferrailleurs. Au cœur de cette cour des miracles balnéaire, le lecteur se familiarise très vite avec quelques personnages : Tone, l'homme qui déteste les femmes, Max, lexi­cographe autodidacte considérant les mots comme des êtres, la Goulette, généreuse te­nancière de bistrot, Buffalo, brute épaisse accro aux échecs, Piou, jeune femme oscillant entre l'anorexie et la boulimie et rêvant de devenir mannequin, Gil, son compagnon ne vivant que pour elle, Kim, fille de milliar­daire échappée d'un hôpital psychiatrique... Avec une science consommée du récit, André-Marcel Adamek croise les fils de ces destins particuliers. Le lecteur est pris par chacune de ces histoires et s'enchante quand elles se nourrissent l'une l'autre de façon aussi naturelle qu'inattendue, comme dans un roman de Dos Passos. De plus, un événement extraordinaire vient créer un nœud entre tous les fils : l'arrivée au port d'un immense sous-marin soviétique, fasci­nant et mystérieux, mais voué aux chalu­meaux des ferrailleurs. À moins que... Tout dans ce roman d'Adamek est au ser­vice du conte et de la narration. Si ses nom­breux personnages nous sont immédiate­ment familiers, c'est parce que chacun d'eux est typique, qu'il est accompagné d'un motif, le bruit de ses anneaux accompa­gnant Buffalo, par exemple. Il n'est donc pas question d'analyse psychologique : les êtres se donnent par leur histoire, leurs actes ou leurs propos.
Mais au-delà du plaisir du récit, Le plus grand sous-marin du monde vaut aussi pour sa vision poétique et généreuse du monde des exclus, des désaxés, des alcooliques et des sans-travail-fixe. Pour les faire vivre mal­gré leurs problèmes et leur misère, Adamek centre la plupart de ces destins sur des his­toires d'amour qui donnent à chacun d'eux un visage humain, simple et touchant. Cependant, l'amour, n'en déplaise à Car­men, semble obéir dans cet univers à des lois d'airain. Les hommes y aiment sans rai­son : ils ne demandent rien en échange de leurs sentiments. Leur seul but semble être de construire un nid autour de l'objet de leur cœur. Quant aux femmes, incapables de répondre aux sentiments qu'elles éveillent, elles s'enfuient au loin : quête nar­cissique désespérée pour l'une, suicide pour l'autre, enfermement psychotique dans un fœtus artificiel pour une troisième. Alors, pour les hommes, reste le fameux sous-marin, phallus éternellement rigide près à s'engouffrer dans l'humidité absolue.

Laurent Demoulin