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Critiques de livres


Yvonne STERK
Le rempart de sable
éd. L'arbre à paroles
2002
151 p.

Quatre poétesses

Je sais qu'on n'utilise plus guère le terme de « poétesse » mais je l'emploie sans rien de péjoratif et puisque c'est bien de quatre femmes qu'il va être question ici, mon titre aura le mérite de ne pas prêter à confusion.

Yvonne Sterk était journaliste au Moyen Orient dans les années 60 et 70, époque à laquelle elle écrit les poèmes aujourd'hui ré­unis sous le titre Le rempart de sable. On peut presque suivre ses déplacements car elle date et localise presque tous ses textes : Jordanie, Egypte, Liban, Israël... Point n'est besoin de rappeler qu'elle n'a pas choisi les lieux ni l'époque les moins trou­blés. Et elle a bien ce regard de journaliste, c'est-à-dire de quelqu'un qui ne se contente pas de voir mais enquête sur les tenants et les aboutissants des faits auxquels elle est confrontée. Car même si c'est en poète qu'elle écrit son émotion, on sent que le ly­risme reste contenu sous une sorte de pres­sion politique comme si sa conscience, de­vant les drames humains, lui interdisait cette liberté poétique qu'elle ne prend que lorsqu'il s'agit de dire un paysage. Si elle s'enchante de l'odeur des eucalyptus, elle constate bien plus souvent, avec un effroi révolté, les ravages de la guerre, la désola­tion et la confusion : on ne reconnaît plus / l'ami de l'ennemi / comme le sang versé / res­semble au sang versé. De même : La douleur et la joie / ont les mêmes yeux purs.


Marie LAMBERT
Solitudes sollicitudes
éd. L'arbre à paroles
2002
55 p.

Bien sûr, elle prend fait et cause pour les Palestiniens et se mue en militante quand elle décrit les ruines et les morts mais, par humanisme, elle souffre de ces déchirements et se révolte de voir d'autres souffrir plus encore quand il n'y a plus, pour protéger l'espoir, qu'un rempart de sable. Ecrit il y a trente ans et plus, le recueil n'a rien perdu de son actua­lité.

Etrangement, la notice biographique de Marie Lambert signale qu'elle gribouille par-ci, par-là... Voilà qui n'est pas très valori­sant pour un beau premier recueil qu'elle dédie à André Schmitz. Il y a certes de pe­tites maladresses (à commencer par une forme trop souvent variable, un peu insta­ble, comme en attente de maîtrise) mais il faut passer outre. Je ne sais pas si Schmitz y est pour quelque chose mais Marie Lambert n'a pas fait n'importe quoi en lui dédiant son recueil ; elle a comme lui cette force à dire la gravité dans la légèreté, elle a aussi cette apparence de forme cristalline qui ne joue pas la carte de la pureté mais celle des clartés, même si l'interrogation fondamen­tale reste obscure, taraudante. Mais c'est en femme que Marie Lambert donne une réso­nance à l'offrande de son corps, évoque le vide ou la vacance, les silences en attente ou les mots en partage, cela n'a pas la même va­leur que dans la bouche d'un homme — un homme auquel certains poèmes font grief quand ils ne lui expriment pas un dépit de­vant son incompréhension. Solitudes sollici­tudes, le titre, dit assez bien ce drame qui se joue intérieurement à cause d'un défaut d'échange.


Marie-Claire VERDURE
Entre nuit et nuit
éd. L'arbre à paroles
2002
75 p.

Il y a, chez Marie-Claire Verdure, quelque chose qui me fascine et une part qui me dé­range, qui résiste à ma compréhension. Elle utilise la langue mais ne cesse d'en dénoncer la duperie, elle clame tour à tour son désir et sa désespérance, se dit béante quand on la sent envahie, oscille entre Eros et Thanatos, elle fait du poème un concentré existentiel qu'elle livre comme à regret, comme s'il s'agissait de faire signe ou de laisser des in­dices d'une vie qui restera secrète mais semble lourde à porter, et vaine. Il y a du charnel et de l'obscur — et un titre comme Entre nuit et nuit m'induirait à penser que l'un se confond avec l'autre —, rien n'est posé pour germer, pour porter. Il y a des fulgurances mais elles restent opaques, tout implose, se referme sur lui-même, comme envahi par soi, par indolence. Ce n'est pas faute d'oser, c'est peut-être faute de tra­vailler ; je crois que Marie-Claire Verdure est une grande voix qui refuse de se révéler. Cathy Leyder a beaucoup tergiversé avant d'oser affronter l'écriture et publier son pre­mier recueil, L'encre rouge des pruniers. Je n'en connais pas les raisons mais j'espère qu'elle hésitera moins dans le futur car ce premier (petit) livre est tout à fait enthou­siasmant. Elle y équilibre très bien une in­terrogation métaphysique sur elle-même avec un travail sur les mots, y laisse passer le temps avec sa part de mélancolie. Elle fait de ses brefs poèmes de courtes histoires qui rebondissent sur des images justes, simples. Cathy Leyder possède une souplesse d'écri­ture qui indique qu'elle maîtrise son sujet ; on peut en espérer une prochaine confirmation dans un livre plus ample. A l'analyse, le ton est peut-être un peu sombre mais n'est-ce pas une manière de réaffirmer que les chants désespérés sont les plus beaux ?

Jack Keguenne

Cathy LEYDER, L'encre rouge des pruniers, éd. L'arbre à paroles, 2002, 53 p.