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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB
Le sabotage amoureux
Albin Michel
1993
180 p.

Les mots d'enfants d'Amélie

Au-dessus de nous plane l'ombre du célèbre écrivain Prétextât Tach, le personnage principal du premier roman d'Amélie Nothomb, Hygiène de l'as­sassin. Le critique a une crainte, celle de tomber dans un des nombreux travers que celui-ci dénonçait et d'ainsi se disqualifier aux yeux du monde.

Plus que ça : Prétextât Tach rejaillit sur la lecture du Sabotage amoureux. Est-ce qu'il serait fier d'Amélie ? Non, la fierté est un sentiment trop faible pour qu'il le connaisse. Est-ce qu'il la considérerait comme une consœur ? On le sait misogyne. Comme un confrère alors, un écrivain de sa trempe ? Finalement, lui seul le sait et ce n'est pas nous qui allons répondre à sa place. En tout cas, Amélie Nothomb avait frappé fort avec son premier roman publié (pour combien de déjà écrits ? qu'est-ce qui motive le choix de ses publications ?) en po­sant une esthétique du roman et de la litté­rature.

Cela ne pouvait que se retourner contre elle. Comment être à la hauteur de ses exi­gences, de celles d'un personnage de roman ? Alors décalons le propos et n'es­sayons pas de lire Le sabotage amoureux avec Hygiène de l'assassin pour grille de lecture. Si nous vous racontions l'histoire de ce nouveau roman — une guerre mondiale fic­tive, un Amour, la vie — vous pourriez croire à un roman des plus traditionnels. Seulement tout se passe en comité restreint, dans un quartier d'étrangers en Chine, chez les moins de treize ans, chez ceux qui n'ont pas encore franchi la barrière fatidique de l'adolescence, chez ceux qui vivent vraiment — dans le fantasme érigé en réalité. Cela nous vaut des scènes épiques de torture, des galopades infinies sur un cheval-vélo, des destructions d'un amour fulgurant. Et un jeu avec les mots qu'on ne pratiquera jamais plus le cap de l'adolescence dépassé, « l'épi­logue » de la vie atteint. Parce que seuls les mots sont de la grandeur de l'enfance, à la hauteur de ses fantasmes, bien au-delà de la vie. Même si tous les « mitraillages ver­baux » (de sublimes dialogues dont on se ré­gale gourmandement) n'ont qu'un temps. « Ces exercices de style avaient quelque chose de pathétique, car très vite nous nous heur­tions aux limites du langage, d'autant que nom capturions souvent une victime : il fallait des trésors d'imagination pour renouveler les surenchères sans les affadir. Le corps étant moins vaste que le vocabulaire, nous explo­rions ce dernier avec un acharnement dont les lexicographes devraient prendre de la graine ». Et les adultes dans tout ça ? Ils prennent bien un coup de griffe de temps en temps mais tout se passe le plus souvent comme s'ils n'existaient pas, leur monde étant en décalage — à tout jamais — avec celui de l'enfance. Enfance encore vivace chez Amé­lie Nothomb qui a pourtant capitulé en baissant la tête pour écrire, pour s'adresser à ceux qui lisent : « La lecture, c'était bon pour ces désœuvrés qu'étaient les adultes. Il fallait bien qu 'ils s'occupent. »

Michel ZUMKIR