pdl

Critiques de livres

Billet d'humour

A défaut d'être belgo-dégradable (ainsi se présentait Qui a tué José H. ?, son premier roman), la nou­velle histoire belge de François Jongen (Les aventures du Belge errant) ne risque pas d'être éco-taxée ! Notre fin de siècle, en effet, demande à rire et, en ce sens, le fana­tisme communautaire se recycle aisément. L'errance maudite ne frappe pas que les Ahasvérus et les Isaac Laquedem. Il suffit de s'appeler Jongen (le héros), d'être liégeois d'ascendance limbourgeoise et de résider à Wezembeek-Oppem, pour être jeté sur les routes de l'hésitation.

La recherche (phonétique) de l'identité constitue la première quête qui promène en esprit le héros à travers la francophonie (Jonc Gens ? Jonc Gêne ? Jaune Gainer ?), la Germanie (Yonnguenn), voire la (Grande-) Bretagne (John Guenn) ou le Japon (Jôn-Gên)...

Son désir de certitudes et d'appartenance le conduit, dès lors, de l'Ordre de Résistance Francophone, dissidence du F.D.F., à la Grande Loge Bruocsella, vouée à la flamandisation de Bruxelles (et subventionnée par un lobby strasbourgeois, voire l'Elysée lui-même !) Mais aussi du P.S. au C.V.P., du poste administratif au détachement, du commissariat de police au bureau de l'Etat civil, dans notre célèbre labyrinthe commu­nautaire et institutionnel. Car tout est agita­tion et bougeotte. Et d'épingler, d'un côté, les allers-retours successifs Namur-Bruxelles des cabinets ministériels wallons ou le ma­quis francophone dans le métro ; et d'évo­quer, de l'autre, le pèlerinage de Dixmude ou le Gordel. Chacun s'appliquant aussi, de part et d'autre, à parcourir les rues de la Ca­pitale pour badigeonner les noms honnis.

La solution de tous les dilemmes — on s'en doutait ! — est dans l'Europe. Et le Mouve­ment de l'Europe libre hérite in fine d'un président extrémiste prêt à aller combattre l'invasion commercialo-culturelle asiatique et étasunienne.

Jouant sur toutes les gammes de l'ironie, Jongen privilégie cependant les feintes litté­raires : le divorce entre les situations dé­crites (le réel est ridicule à souhait et il n'y a qu'à se baisser...) et les mots qui devraient y correspondre, est l'ingrédient principal. La disproportion entre les « causes » ab­surdes (Flamins go home !) et les effets catas­trophiques (comme le racket des commer­çants) se traduit par une verve sarcastique qui ne cherche jamais à moraliser ni à susci­ter quelque ressentiment que ce soit. La caricature exagère à peine (une seule bande de l'autoroute Bruxelles-Ostende de­vrait être accessible aux Wallons) et le persi­flage simplifie peu (la Volksunie soutient l'Anschluss (sic) de Bruxelles à la Flandre). Et la satire douce n'a qu'à dénoncer un futur proche et à railler un présent que la politique et les médias (mais aussi, bien sûr, l'administration, l'enseignement, l'urba­nisme, etc.) ont façonné en autant d'excès, d'impostures et d'incongruités. Grotesque, mais sans le bâton de la farce ni le pessimisme de la polémique, ludique sans être gnangnan ni trop acéré, le Belge errant (moins belligérant que naïf) réussit à changer nos humeurs en humour, grâce à la perspica­cité et — probablement — la bonté d'un narrateur qui circonscrit et désamorce toutes les aberrations et les anomalies du quotidien.

Danny Hesse

François JONGEN, Les aventures du Belge errant (traduit du belge par Jonnas Groinfec), Quorum, 151 p.