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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB
Les Catilinaires
Paris
Albin Michel
1995
209 p.

Quousque tandem...

Il y aurait une étude amusante à com­poser sur les quatrièmes de couverture, où l'éditeur ne recule généralement de­vant aucun sacrifice pour mettre à mal la modestie d'un auteur. Le texte qui est consacré à Amélie Nothomb, au revers de son nouveau roman Les Catilinaires, com­porte quelques vérités indiscutables : l'au­teur a vingt-huit ans, elle nous a déjà donné au cours des rentrées littéraires antérieures trois autres livres : Hygiène de l'assassin, Le Sabotage amoureux, et Les Combustibles (dont nous apprenons cette année qu'il s'agissait bien d'une pièce de théâtre). Outre les prérequis nécessaires à tout auteur dési­reux d'être publié et qui l'est (savoir, savoir-faire et faire-savoir) ainsi que les formules laudatives usuelles où chaque mot porte sa couronne (« ...confirme de manière écla­tante un talent hors du com­mun »), l'éditeur d'Amélie No­thomb nous donne également, au détour d'une formule sortie qua­siment d'un feuilleton télévisé américain (« ... son univers im­placable... »), deux mots-clefs que le lecteur aura raison de garder à l'esprit : affrontement et dia­logue. Les Catilinaires d'Amélie Nothomb empruntent à Cicéron non seulement un titre, mais éga­lement une pugnacité verbale qui finit par venir à bout, toutes pro­portions gardées, de son Catilina. Amélie Nothomb affectionne les textes dialogues, les phrases courtes et percutantes, la ha­rangue vengeresse du justicier avant l'estocade finale du matador, et c'est encore le cas avec Les Catili­naires. Comme dans ses ouvrages précé­dents, Amélie Nothomb met en scène des personnages forts, un paisible professeur de langues (déjà) mortes (enfin) admis à la re­traite, et un voisin peu bavard, irascible, et encombrant. Le professeur et sa tendre épouse font donc les frais de la conjuration montée par le voisin, aidé indirectement dans sa tâche par une femme monstrueuse, éléphantesque, et débile. L'obstiné Palamède (ah, voilà Proust) s'installe en effet chaque jour entre 4 et 6 dans le salon du couple de retraités, sans prononcer autre chose qu'un oui ou un non évasifs. Après quelques passes d'armes courtoises, le pro­fesseur change de tactique et monte à l'of­fensive, ce qui lui donne l'occasion de dé­couvrir l'étendue du cauchemar vécu par Palamède. Les Catilinaires de Cicéron se sol­dèrent par la mort du patricien dépravé, ceux d'Amélie font, pour la bonne cause, également une victime. Derrière l'argument du voisin insupportable qui, du théâtre de boulevard à Achille Talon ou Marc Lebut, a donné lieu aux variations les plus désopi­lantes, Amélie Nothomb a sans doute voulu nous livrer « l'angoisse et le suspense, la pas­sion et la cruauté » annoncés par son édi­teur. Mais ses personnages manquent de consistance, même la créature hypertrophiée dénommée « le kyste », et semblent essen­tiellement destinés à faire valoir les idées toutes faites et les vérités premières énon­cées par l'auteur. Au passage, elle déballe quelques citations pêchées au gré de ses lec­tures et écorche même un titre de Mal­larmé. (Quant au poète, cité par Scutenaire, qui disait : « Certes, nous ne sommes pas assez rien du tout », Amélie Nothomb aurait pu don­ner son nom au lecteur : il s'agit de Gérard van Bruaene.) Bien sûr, ici et là, quelques formules font mouche, et on ne peut dénier à l'auteur une volonté de dissé­quer les travers de nos contempo­rains. Mais c'est peut-être là l'écueil majeur de ces Catilinaires : ils baignent dans le dénigrement banalisé et la méchanceté am­biante de notre époque, comme s'il ne s'agissait que d'un fonds de commerce parmi d'autres. On a peine à croire qu'Amélie No­thomb, qui cite Yves Bonnefoy en épigraphe, s'en satisfasse...

Alain Delaunois