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Critiques de livres

L'écrivain d'art

La critique d'art a atteint, aujourd'hui, un étonnant niveau de précision et de raffinement dans la description des formes, des matières ou des matériaux, dans l'évocation des espaces, des images et des textures, et j'en suis un lecteur friand. Claudette Sarlet s'est intéressée particuliè­rement à celle d'avant la Première Guerre Mondiale, de 1860 à 1914. en Belgique, et plus précisément aux écrivains d'art, qu'elle définit comme des auteurs dont la produc­tion sur l'art fait partie intégrante de l’œuvre. C'est vers 1860 que des écrivains commencent à s'occuper activement des peintres, que naissent des périodiques consacrés à l'art, que le jeune Camille Lemonnier publie ses Salons. Après un bref historique de la critique d'art en France, du XVIIe siècle jusqu'à Baudelaire et Zola, Claudette Sarlet analyse « l'articula­tion des champs artistiques et littéraires en Belgique » à cette époque. Elle en brosse d'abord un tableau — mot tout indiqué — général, montrant les prises de position en faveur du réalisme de Charles De Coster et de Camille Lemonnier. la vitalité de L'Art moderne d'Edmond, Picard qui veut inter­venir « sur tous les champs artistiques et sociaux » et s'oppose à La Jeune Belgique qui s'en tient à l'art pour l'art, du groupe XX. de La Libre Esthétique d'Octave Maus, de la Section d'Art du POB. avec Vandervelde, Verhaeren, Destrée, Elskamp et Maeterlinck. Elle consacre ensuite un chapitre à chacun des plus importants des écrivains d'art : éléments biographiques, commentaires critiques, extraits caractéristiques d'articles ou d'essais.

Charles De Coster qui. avec une belle ver­deur polémique, aidé par l'insolence de son ami Rops, ne ménage pas l'académisme et le provincialisme, défend la volonté d'auto­nomie des artistes belges par rapport à Paris. Camille Lemonnier, toujours dans l'effervescence écumante de l'enthousiasme. sauf quand il ne ménage pas Puvis de Chavannes. et trop souvent dans l'enflure qu'excuse Claudette Sarlet. parce qu'il a aimé fougueusement Rubens. Delacroix, Courbet. Rops. Corot, de Groux. Meunier, de Braekeleer ou Claus. Georges Eekhoud qui s'est beaucoup dépensé en faveur des artistes près de son ami Van de Velde. Emile Verhaeren. avec ses trois importantes monographies sur Rembrandt. Ensor et Rubens. ses pénétrants articles sur Khnopff. son « parallèle très novateur entre l'évolu­tion de la peinture et celle de la poésie », son portrait de l'artiste symboliste. Edmond Picard et Octave Maus, fervents animateurs de la vie artistique. Franz Hellens qui a signalé lucidement les débuts de Spilliart, Tytgat. Permeke et Wouters mais se montra hostile aux futuristes italiens et même à Kandinsky qu'il trouvait trop peu terrestre. Jean de Boschère. fou de Metsys et de Breughel chez qui il voit déjà un esprit cubiste, surtout dans Le Massacre des Inno­cents. Jules Destrée, ses études sur le Maître de Flémalle et Roger de la Pasture ou ses très belles pages sur Redon. Merci à Claudette Sarlet de nous restituer si remarquablement l'intensité passionnée des relations entre les écrivains et les artistes de cette riche époque.

André MIGUEL

Claudette Sarlet. Les écrivains d'art en Belgique, 1860-1914. Editions Labor, collection « Un livre, une œuvre ». 1992, 220 p.