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Critiques de livres


Sandrine WILLEMS
Le sourire de Bérénice
Paris Bruxelles
Les Impressions nouvelles
2004
196 p.

Le scribe et la princesse

«Dans un mois, dans un an, comment

souffrirons-nous. Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? »

Comment oublier que Racine a dé­peint la douleur extrême de la sépa­ration définitive entre Titus et Bérénice, les amants interdits, alors que cinq actes et quelque mille cinq cents vers suffi­saient à peine (à peine !) pour qu'ils se di­sent adieu et se résignent à la sanction in­évitable pourtant décidée dès le début de leur tragédie ?

Chère fiction sans doute où l'intrusion d'un troisième personnage, Antiochus, témoin et victime supplémentaire de l'amour ne fut pas le moindre éclat. Il est évident que San­drine Willems entend bien se placer sur un autre plan que son illustre prédécesseur lorsqu'elle entreprend dans son roman, Le sourire de Bérénice, de prouver que la réalité de l'histoire de cette malheureuse princesse juive dépasse la fiction, l'excède, nous dit-elle plus précisément. Romanesque ou tra­gique, le lecteur en décidera, cette histoire est complexe, à tout le moins. En premier lieu, aux quelques heures de sa vie aux­quelles nous avions pu assister avec Racine, l'auteure substitue la geste complète de l'hé­roïne, c'est-à-dire qu'elle retrace, à la ma­nière d'un scribe antique, la vie de Bérénice, avant et après Titus, et sa disparition. Celle-ci était arrière-petite-fille de l'Hérode qui massacra les Innocents et petite-nièce de celui qui laissa tuer le Christ. Née dans une famille de collaborateurs, elle-même va très tôt se sentir partagée par un double at­trait envers les Juifs et les Romains. Mal mariée une première fois et toujours contre son gré, elle devient ensuite l'épouse de son oncle puis la maîtresse de son frère. Elle se considère déjà comme une vieille femme lorsqu'elle rencontre Titus, de treize ans son cadet, et s'en éprend éperdument. De Palestine en Egypte, d'Egypte à Pompéi et puis à Rome où elle demeure un an avant d'être répudiée, elle a connu la plus grande des passions. Mais ensuite, elle ne connaîtra plus que la plus grande des souffrances. Après avoir fait déjà le deuil de son pays, de son lac de Tibériade, de son frère, il lui faut alors le faire de son amour, de son corps qui ne vivait que pour lui, pour enfin faire le deuil de soi-même. Rien ne lui sera dès lors épargné puisqu'elle devra aussi renoncer à l'ultime espoir de revoir Titus, enfin libre du joug paternel mais non désireux de la re­trouver.

Histoire mouvementée donc que l'auteure retrace à la manière antique, interrompant les passages narratifs de longues incantations, de monologues intérieurs. De com­mentaires aussi de l'humble scripteur qui s'attache au destin d'une femme qu'il adore en secret. Tout contribue à recréer une am­biance plus féerique que réaliste, de la cou­leur locale des paysages au détail coloré des décors et des vêtements, de la surabondance des discours aux pseudo-archaïsmes de lan­gage — inversions, anaphores fréquentes, tournures exclamatives, hyperboles... On devine cependant qu'existé une arrière-fable à ce texte qu'il ne faut sans doute pas se borner à lire au premier degré. Ne serait-ce que l'insistance à décrire les conflits d'inté­rêts entre les peuples ou les nations, à dé­crire par le menu les enjeux territoriaux, même si l'héroïne n'en semble pas affectée outre mesure, cela suffit à faire rêver ou à réfléchir à toute autre valeur symbolique que l'apparence de l'amour contrarié.

Jeannine Paque