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Critiques de livres


Yves CALDOR
Le train des enfants
Bernard Gilson Editeur
coll. Micro-roman
2001
125 p.

Mîklos et Aurian

1956, les chars soviétiques envahissent Budapest et mettent fin au soulève­ment populaire. Pour de nombreux Hongrois qui ont cru à cette nouvelle révo­lution, ça commence à sentir le roussi, et en tous cas la répression. Andràs et Louise, le père et la mère de Nicolas, Miklos pour les Magyars, quittent précipitamment leur maison pour se rendre en France, où ils se­ront à l'abri. Avec l'exil commence aussi la séparation des parents de Nicolas, ainsi qu'un long oubli, pour lui, du pays où il est né et de sa langue.

Car si Andràs, enfermé dans sa déception, ne fait rien pour entretenir chez Miklos le goût et l'amour de son pays natal, Louise, Française, qui déjà à Budapest ne l'autori­sait pas à parler sa langue paternelle, ne veut à présent plus rien savoir, ni entendre, de la Hongrie. Nicolas vivra désormais à Nice, chez ses grands-parents, puis, adoles­cent, dans le Hainaut, avec sa mère et son beau-père, et enfin, seul, à Bruxelles. Jus­qu'au jour où la Hongrie viendra le rappe­ler à son souvenir.

Le train des enfants, c'est l'histoire de cet oubli, puis des retrouvailles entre Nicolas-Miklos et le pays qu'il a dû quitter quand il avait cinq ans. Mais c'est aussi l'apprentis­sage de l'exil, de cette vie en Belgique, dans ce pays qui n'est pas le sien et qu'il s'appro­prie pourtant petit à petit, sa découverte de la Flandre, de Bruges et de Gand où il se sent si bien, ses aventures amoureuses puis conjugales, et enfin les voyages en Hongrie, avec ses enfants, où Nicolas recherche Miklos et ne le retrouve pas toujours... Dans Le train des enfants, son deuxième livre, publié aux éditions Bernard Gilson, Yves Caldor nous donne à lire une sorte de chronique sentimentale, où l'exil est abordé de manière volontairement subjective, à tra­vers l'itinéraire d'un homme, et où le retour au pays se fait sous la forme de l'écriture. On y prendra d'autant plus de plaisir à lire certains passages, plus objectifs et plus rares, aussi, sur la Hongrie insurgée, ou so­viétique, ou sur la Hongrie d'après la chute du mur de Berlin.

Même éditeur et même collection (Micro­-roman) pour Le rendez-vous de Waterloo, de Vincent Malacor, mais autre histoire et autre ton. Autres temps aussi... mais les­quels ? oui, c'est ça ! dans quel diable de temps l'auteur nous entraîne-t-il, sur son cheval Clair-Obscur ? C'est que je ne suis pas physicien, moi ! et au risque de paraître ridicule, je dois bien avouer que certains dé­veloppements de la théorie de la relativité m'échappent relativement, pour ne pas dire tous, et complètement qu'ils m'échappent. Vincent Malacor aurait-il pensé aux cancres de mon espèce ? En tous cas, il a la décence de se servir de cette théorie sans me la ser­vir, ce dont je le remercie ici... Le narrateur, Aurian, est le descendant d'une vieille famille... Ah ! Les vieilles fa­milles ! Toujours un fantôme dans la boîte à gants ! Chez Aurian, c'est plutôt dans le vaisselier : sur les assiettes en porcelaine de Limoges qui racontent l'histoire de son aïeul, Aurian, militaire aristocrate ayant servi sous Napoléon, puis aux côtés des Princes d'Orange, et dans lesquelles, tradi­tion oblige, Amélie, la femme de l'actuel Aurian (non, pas le fils, Aurian le père), veut voir servis les divers repas que procu­rent une journée humaine. Or, dans ces assiettes, il y a aussi une scène où Guibert, le frère d'Aurian l'ancêtre, me­nace ce dernier, immobilisé sous son cheval, de la baïonnette de son fusil, la légende voulant qu'un inconnu l'ait empêché d'ac­complir son forfait. Toujours est-il que Guibert, non content de squatter la porce­laine, hante aussi les environs de la maison familiale, aux alentours du 18 juin... Le 18 juin, Waterloo, Napoléon, Welling­ton ! ça vous rappelle quelque chose ? Peut-être, mais vous ne savez toujours pas pourquoi Aurian le narrateur pique du nez dans son assiette, traverse les décors en passant d'une assiette à l'autre, et ce qu'il va faire au beau milieu de la bataille ! Quels rapports le passé entretient-il avec notre présent, les re­venants sont-ils solubles dans le détergent du lave-vaisselle, peut-on être fatigué de mourir mille fois de la même façon, ou sim­plement de vivre ? tout ça, vous ne le saurez qu'en lisant Le rendez-vous de Waterloo, parce que moi, les histoires de famille, je ne m'en mêle pas !

Tout ce que je peux dire, c'est qu'en bon aristocrate, Aurian balade sa plume comme on monte à cheval, de petit trot en galop, emmène son lecteur dans un recoin de l'his­toire pour lui montrer les effets de la théo­rie de la relativité sur un bon père de fa­mille, le tout avec humour... et qu'il est plus que temps de lire Vincent Malacor.

Noël Lebrun 

Vin­cent MALACOR, Le rendez-vous de Water­loo, Bernard Gilson Editeur, coll. Micro-roman, 2001