pdl

Critiques de livres


Paul WILLEMS
Le vase de Delft et autres nouvelles
Bruxelles
Labor
Poteau d'angle
1995
119 p.

L'arbitraire du signe

Faudra-t-il traiter Paul Willems en vieillard, « c'est-à-dire avec infini­ment d'honneurs et de prévenan­ces » ? Il est vrai que l'auteur qui vient de publier ce Vase de Delft au milieu d'autres nouvelles aussi précieuses a aujourd'hui plus de 80 ans et que son œuvre, théâtrale en particulier, fait de lui un classique de notre littérature. Mais le poids des années n'atteint pas la valeur d'un écrivain quand celui-ci conserve intact le goût du risque et de la découverte : ce qu'il tente alors a tou­jours la fraîcheur d'une expérience origi­nale. Tout au plus verra-t-on dans les déca­lages temporels affichés par le narrateur — qu'il situe son action durant l'été 1914 ou bien à l'époque de ses études en Droit, dans une capitale où les déménagements pouvaient encore s'effectuer en charrette à bras, tout au plus lira-t-on dans cette mémoire du texte des indices fictionnels, au même titre que la formule canonique « il était une fois » est annonciatrice de légende. « Il y a bien des années », donc, « on voyait une petite maison de pêcheur sur les dunes de la Panne ». C'est ainsi que commence une (charmante) « Histoire comme on en racontait il y a cent ans », intitulée Couleurs du temps. L'auteur y rend un hommage can­dide au folklore de son enfance, quand les sirènes ensorcelaient les petites filles pour les attirer dans leur grand château sub­marin. Pour le reste, rien de plus actuel que cette quinzaine-de récits où il s'ingénie à décrypter le seul mystère que rien n'érode, celui des sentiments. On aime, on est aimé, on joue son cœur à quitte ou trompe, on désire, on prend, on se perd : les figures de l'amour ne sont pas si nombreuses qu'elles n'aient pas déjà toutes été jouées mille fois.

La singularité de Willems, en ce domaine, tient dans la distance qu'il adopte, dans cette réserve compréhensive qui lui permet d'accepter sans hiérarchie de valeur tous les détours par où se manifestent les mouve­ments du cœur. Jalousie quelque peu mor­bide d'un fils à l'encontre du nouvel amant de sa mère (dans la nouvelle intitulée « Gorrho »), désinvolture meurtrière d'un amateur de poésie chinoise qui prend son plaisir chez la mère et sa fille, leur mentant à toutes deux Brûler ses vaisseaux »), nymphomanie d'un troisième personnage, petites lubies, folies douces ou sévères qui font l'ordinaire des passions : en quelques pages, avec une lucidité tranquille qui ne s'embarrasse pas de fausse pudeur, Paul Willems excelle à décrire la vérité d'une re­lation. Mais plus encore, il en cerne la part rêveuse, la magie secrète, où l'intimité pro­fonde des êtres se traduit par quelque signe dont la pertinence n'est fondée que pour eux. Exemplaire à cet égard est l'énigmatique « Tad-Elpo-Luce ». Découvrant dans un cahier une suite de syllabes incompré­hensible, Gabrielle veut y voir le journal crypté d'une liaison que son mari lui cache, quand celui-ci n'a fait que transcrire soir après soir la musique de la pluie crépitant sur la verrière. A chacun sa solitude ?

Carmelo Virone