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Critiques de livres


André-Marcel ADAMEK
L'oiseau des morts
Bruxelles
Bernard Gilson Editeur
1995
96 p.

Le pari de l'oiseau

Lorsqu'il entama la rédaction de L'oi­seau des morts, André-Marcel Adamek n'avait pas choisi la facilité. Il fallait un fou ou un poète pour oser se glisser dans la peau — et les plumes — d'une corneille, tenter d'y voir l'univers par ses yeux et trou­ver un ton pour l'exprimer qui ne verse pas dans le ridicule et ne rompe jamais le pacte avec le lecteur. Sans souci des tics et des ma­nies du prêt-à-lire habituel, Adamek est un écrivain audacieux, que n'effraient pas les su­jets hors normes. Et il gagne pleinement ses paris littéraires. Quelques pages suffisent, en effet, pour qu'on se prenne au jeu de cette vie d'oiseau et qu'on suive les événements, au dé­part banals, qui la façonnent : « Dans notre race, le premier vol n'est pas initiatique. (...) C'est nous qui choisissons l'instant d'affronter le vide, ou plutôt qui subissons à un moment donné l'attrait irrésistible de l'espace. (...) Ma chute à moi, verticale comme celle d'une pierre, n'avait d'autres raisons qu'un excédent de graisse. » Se refusant à décrire un monde ani­malier replié sur lui-même — portrait cri­tique mais implicite de la société des hommes — l'auteur utilise pertinemment les relations multiples que l'oiseau entretiendra avec ce qui ne semble, au départ, qu'une « étrange sil­houette », comme « un arbre qui se serait mis en mouvement. » Cela ne réussit pas sans arti­fices puisque la corneille éprouve une éton­nante attirance pour la compagnie des humains et qu'elle fait état, en outre, d'une conscience morale. Ces conventions admises, un univers se dessine donc, qui n'est plus le nôtre bien qu'on y fasse la guerre et l'amour, qu'on y mente et s'y trompe, qu'on y par­vienne à aimer, parfois. Recueilli par le gué­risseur Barbelune, l'oiseau-narrateur suit une lente initiation vers la compréhension du langage, savoir humain par excellence, savoir fi­nalement « inutile » et qui sera porté « comme un fardeau ». Avec Barbelune, c'est tout un flot d'émotions, de gestes et de silences égale­ment signifiants qu'il faut disséquer, peu à peu, au fil des saisons. C'est une pulsion irré­pressible vers Rosé, la servante jeune et fruste. C'est, enfin, un grand et éphémère amour pour Reine, une jeune femme malade que son art put guérir. Cette émouvante passion nous vaut d'ailleurs le seul dialogue du roman — et son seul passage franchement maladroit. A cette réserve près, Adamek n'a rien perdu de son talent de conteur, attentif aux senteurs et aux rumeurs de la terre et par­ticulièrement habile à camper une époque ré­volue sans détails qui pèsent, sans précisions qui alourdissent au lieu d'éclairer. Le récit y gagne la grâce et l'étrangeté. Rien de futile, pourtant : l'auteur se pose en vrai moraliste, qui ne démontre ni ne force le trait.

Laurent Robert