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Critiques de livres


Max Loreau
Les ateliers de Max Loreau. Écrire, tracer, penser
Bruxelles
Archives et Musée de la Littérature
Coll. Archives du Futur
2005
286 p.

Max Loreau et le chemin des origines
par Laurent Moosen
Le Carnet et les Instants n° 140

La Belgique est une terre souvent trop aride pour y cultiver la mémoire et la gratitude. Nos intellectuels sont bien placés pour le savoir, eux qui préfèrent souvent l'exil, éditorial ou physique, pour trouver sous d'autres cieux une reconnaissance qu'ils estiment légitime.

On ne peut faire abstraction de cette considération générale pour évoquer cette nouvelle publication, belge justement, qui rassemble sous le titre de Les ateliers de Max Loreau. Écrire, tracer, penser, des textes d'un professeur de philosophie à l'Université libre de Bruxelles brillamment reconverti en éclaireur de l'art moderne. Et on ne peut que constater à quel point cette pensée éminemment singulière compte parmi les plus engagées dans la défense d'une création qui renoue avec le geste originel de l'art. À cet égard, les textes de cet ouvrage éclairent admirablement le parcours intellectuel de leur auteur. À une époque où l'art moderne gardait encore aux yeux du public ses oripeaux vaporeux et incertains, le laissant dans une perplexité un peu désespérée, Max Loreau va s'attacher à inscrire la rupture moderne dans un cadre philosophique qui justement s'est employé à nettoyer le regard et à lui rendre sa dimension première : la phénoménologie.

Initiée à l'aube du XXe siècle par Edmund Husserl, suivie à sa manière par Martin Heidegger, la démarche phénoménologique est d'abord une réponse au désarroi intellectuel qui frappe l'Europe dans son élan vers la modernité. La rationalité poussée à l'extrême ne semble alors devoir aboutir qu'à la création d'un monde qui nous est étranger. La fameuse inquiétude pascalienne face à un monde uniquement dominé par la raison trouve sa réalisation prophétique.


Max Loreau
Vue d'intérieur
Auvers-sur-Oise
Carte Blanche
2005
32 p.

La fureur de la Première Guerre mondiale ne fera qu'exacerber ce sentiment de déliquescence de la dimension charnelle qui nous liait au monde. Que cherche la phénoménologie et qui nous intéresse directement ici pour évoquer le travail de Max Loreau? Un retour concret aux choses enfin débarrassées de leur voile théorique, une plongée au cœur de la genèse des phénomènes que la science moderne n'ose plus envisager autrement que dans une équation.

Les différents textes de Max Loreau s'inscrivent résolument dans cette veine phénoménologique. D'abord cet essai inachevé, «Le dessin et le renversement de la métaphysique», par l'attention particulière qu'il porte aux premiers traits par lesquels l'artiste rompt avec le néant de la feuille blanche. Et naturellement, c'est Picasso qu'il évoque, ce génial dessinateur. L'intention de Loreau est clairement définie : «[...] comment aborder les œuvres pour retrouver la voie des trames primitives qui les animent [...]». Et sa réponse trace précisément le sillon d'une pensée limpide dans son propos et riche dans ses ouvertures : si le dessin lui paraît être cette voie essentielle qui rompt avec la tradition métaphysique, c'est parce que précisément « le geste entre en action : alors tout se décide; là où l'instant d'avant il n'y avait que le blanc, le fil qui commence à se sécréter arrache au vide et au silence la genèse d'une apparence et, avec elle, l'apparence toute entière.»

En quête des origines et sensibilisée à la genèse du monde, la pensée de Max Loreau s'est choisie des artistes qui lui semblent correspondre avec cette manière singulière de retrouver la voix des phénomènes et le chant oublié de l'être. Jean Dubuffet est du nombre, lui dont Loreau dit que l'art «n'est pas oeuvre d'ordre : sa fonction n'est pas de régler et de pacifier ; il jette plutôt dans le monde qui nous environne un foisonnement et une effervescence capables de le violenter, l'ébranler et lui rendre vie en libérant en lui des forces indociles et nouvelles».

Enfin, ce qu'évite aussi superbement Loreau dans ses écrits et qui pourtant est un travers commun à de nombreux philosophes, c'est la lourdeur de la formulation, l'empâtement du verbe. Sa phrase est légère, précise et accompagne sans l'entraver sa pensée des origines. Ce n'est pas un hasard si sort en même temps que ce recueil de textes un autre livre consacré à la poésie de Loreau, Vue d'intérieur, qui semble répondre en écho à l'exigence du philosophe.