pdl

Critiques de livres


Nadine MONFILS
Peau de papier
Paris
L’Arganier
coll. Traverses
2005
141 p.

Écrire pour vivre

Deux livres bien différents de Na­dine Monfils ont paru presque en même temps. L'un, Peau de papier, dont le titre est déjà tout un pro­gramme, est dénommé « récit ». Le se­cond, Mariages, est un album riche en reproductions de tableaux, dessins ou sculptures, photos et collages, qu'encadrent librement des textes. Dans chacun des volumes, l'auteur propose un auto­portrait, mais surtout elle donne de soi une image en mouvement constant, dans une variété de positions et de dis­cours. Elle a en effet de multiples vi­sages, Nadine Monfils, dont au moins deux courent l'un après l'autre dans Peau de papier : le moi « anonyme », que tout le monde connaît, et le Moi capital, celui qui écrit et dont elle ne dissimule pas la préséance. Rien n'est plus impor­tant que cette écriture qui la fait vivre, même si - elle prend bien soin de le pré­ciser — elle n'en vit pas, rien ne compte davantage que ces mots dont elle aime tant jouer. Ce n'est pas pour rien que Peau de papier, ce « livre de gamine » prend place dans cette collection Tra­verses où, « de l'érotisme au picaresque, du polar au récit initiatique, de la saga au roman épistolaire, des auteurs s'em­parent des codes et, surtout, les bouscu­lent sans précautions ». Codes moraux, narratifs, stylistiques, tout ce que la bienséance, le convenable, le souci de paraître et le besoin de plaire imposent à l'individu, Monfils les brave et s'en moque, à sa manière libertine ou agres­sive. Elle aime particulièrement « ce qui ne se fait pas », renverser l'interdit sous toutes ses formes, aussi bien « cracher dans le caviar » qu'être insupportable et ne pas porter de culotte.


Nadine MONFILS
Mariages
Paris
Terrail
2005
93 p.

Mais, si elle fait un tel étalage de ses convictions, si elle détaille complaisamment ses délires et proclame ainsi haut et clair sous les grin­cements parfois de ses rires, elle ne se borne pas à se mirer (ou se murer) soli­taire dans ses certitudes. Elle nous parle, on dirait même qu'elle ne parle, qu'elle n'écrit que pour persuader, sans néces­sairement respecter les règles de l'argu­mentation et c'est sans doute efficace, cette manière d'apostropher le lecteur, de l'agresser, de le pénétrer de toutes les façons et surtout de ce « sexe de mots ». Mariages pourrait paraître bien sage à côté de ce pamphlet de fantaisie fu­rieuse. Qu'on ne s'y trompe pas, tout aussi iconoclaste, il agit en dessous et fait feu de toutes ses images de luxe que le commentaire n'encombre pas puis­qu'il vit de sa vie propre, tantôt poé­tique et légère, tantôt nostalgique mais sans gravité. Le rapport entre les compo­santes du volume reste discret mais sen­sible. Dommage qu'il faille faire un va-et-vient constant entre la table des illustrations et les images : on en perd l'agrément du suivi texte-iconographie. Ces images, précisément, sont très belles et totalement diversifiées : du couple des Arnolfini à cette noce russe, habillée et déshabillée sans que change l'expression des personnages, dont l'originalité tient aussi à leur caractère unisexe, plus qu'à leur origine « exotique ».

Jeannine Paque