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Critiques de livres

Luc Norin
L'heure inverse
Esch-sur-Alzette/Ottawa
coéd. Phi/Ecrits des Forges
2006
104 p.

L'étang, les tripes et le vent
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 145

Avec L'heure inverse, Luc Norin propose un recueil dans lequel chaque poème donne une facette d'une histoire que le lecteur ne fera que deviner. Dans la petite maison, près de l'étang, il y a eu un cri et il y a eu du sang pendant qu'une petite fille, dehors, «elle a trois ans / et promène le cerf-volant. Mais le vent a déporté le temps // comment redescendre» puisqu'elle a grandi. Cette heure inverse part à rebours, vers l'enfance, avec une nostalgie teintée du souvenir d'une tragédie, à moins qu'elle ne soit la lecture d'une image sur le miroir de l'eau : «Dans l'étang la maison / fait des plis // l'oeil porte loin / sous le cri.» Les plis sont marqués, nul ne les dénouera, et la stridence persiste dans la précision des images. Mais l'eau n'est jamais aussi immobile qu'il semble, ni le temps figé; tous deux s'écoulent comme des pleurs jusqu'à cet instant du poème «quand / tu trouveras les mots // sous la porte fermée». Avec économie et délicatesse, Luc Norin fait discrètement vibrer ses poèmes en équilibre entre le drame, l'innocence et le chant du monde.

 

Tout autre est le registre de Fabien Abrassart dont les poèmes en prose laissent éclater un flux corrosif, percutant – dans les images comme les sonorités.

Fabien Abrassart<br<La part de personne<br>Châtelineau
Le Taillis Pré
2006
62 p.

Il y a ici une forme de colère froide contre la condition humaine, une métaphysique inquiète dans ses turbulences organiques, une appartenance indistincte à l'espèce, un corps qui voudrait «s'enfouir dans le noyau de la nuit, élargissant la blessure aux sources du langage, mais chaque matin pourtant l'on ressuscite, chaque matin mon coeur à l'abattoir, carcasses aux crochets de mes virgules». Ce n'est pas tant une révolte que le constat qu'est «perdu l'axe où parler debout»; pas un désespoir – «vivre étant notre cabane» – et il reste un désir : «j'ai faim de vos grimaces pourvu qu'elles soient le signe d'un visage». Ce qu'Abrassart dit dans La part de personne, c'est ce sentiment d'être vainement broyé, une difficulté à se reconnaître parmi les siens, dans un monde policé, quand on sent en soi tant de remugles et de vertiges, quand on ressent au plus vif ce que les autres font mine d'oublier, quand tous, dans le même anonymat, «on s'épuise à justifier cette existence». Voilà un auteur qu'il ne faudra pas prendre à la légère – on sent passer un souffle! Abrassart possède une maîtrise et une expressivité qui surprennent, peut-être, interpellent, certes, mais tonifient, surtout.

Henry Bauchau
Nous ne sommes pas séparés
Arles
Actes Sud
2006
104 p.

Nous ne sommes pas séparés d'Henry Bauchau relève plus d'un projet éditorial que du recueil conçu par la volonté de l'auteur. J'ai de la peine à comprendre ce genre de livres fourre-tout dans lequel on trouve des listes, des litanies, des textes brefs (avec quelques fulgurances magnifiques comme «Viendrez-vous écouter au passage des pluies / Les poutres s'étirer dans mes longues demeures») et des chansons, de longs poèmes en fausse prose découpée dont certains ont déjà été publiés ailleurs. Bauchau évoque et invoque, mais entre sa foi chrétienne, la psychanalyse et sa prédilection pour les héros mythiques grecs, il opacifie plus qu'il n'illumine l'horizon du lecteur. D'autant plus qu'il n'est pas à une contradiction près : prétendre à une «fête de l'existence» quand «le monde / Ne serait qu'un songe amer» s'avère navrant. Et si «la règle est d'apprendre à rire / Homme / Avant de mourir», cette règle ne semble pas d'application pour tout le monde.

 

Jean Dumortier approche, dirait-on, de l'heure du bilan. Son Jardin de nuit – qui, par cette nuit, stigmatise les guerres, les violences, les trahisons, les pertes – n'en est pas moins promenades en des jardins qui font métaphores à une vie contiguë, en toutes circonstances, au fil des saisons. On est heureux de rencontrer avec lui tous ces rosiers, mais sa collection d'images encombre un peu et manque de pouvoir poétique. On est gêné par l'instabilité de la mise en pages ou le nombre de fois que l'on croise trois petits points, comme si ce qui se dit ici n'était que molle suggestion que le lecteur devrait compléter.L'automne du jardin ne ressemble pas à son printemps, on le sait, mais l'auteur – sans malice, mais par maladresse – s'égare trop souvent à évoquer ce qui ne parle qu'à lui-même ou à quelques proches. Dumortier n'arrive pas vraiment à transmettre son humanité et sa bonhomie – mais les fleurs reviendront.

Jean Dumortier
Jardin de nuit
Eghezée
Texte & Prétexte-Le Lièvre savant
2006
120 p.