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Critiques de livres


Nouvelles écritures 1
Lansman Editeur
Carnières-Morlanwelz
1997
72 p.

Scènes de crise

Dans une entrevue republiée à l'oc­casion de son décès l, Giorgio Strehler déclarait que « le théâtre change(ait) le monde. Avec la politique, l'amour, les amis... » Il ne parlait pas de bouleversements ni de révolutions, mais d'éveils lents, à retardement, des con­sciences. En Belgique francophone, Jean Louvet est un des premiers à avoir écrit et fait jouer des pièces qui sapaient notre igno­rance confortable et notre inculture sociale et politique. Parce qu'on ne sait rien de l'histoire sociale de la Wallonie, parce qu'à tout prendre elle n'existerait pas, il a convo­qué des personnalités du passé comme Ju­lien Lahaut ou Alfred Defuisseaux, que le pouvoir — fût-il social-démocrate — préfé­rait abandonner dans le silence et l'oubli.


Jean COLLETTE, Toni CECCHINATO
Garage des ancêtres
Lansman Editeur
Carnières-Morlanwelz
1997
81 p.

Et comme le théâtre action est d'abord une aventure collective, il a transmis à d'autres le virus de l'écriture dramatique. Au terme d'un atelier d'écriture qu'il a animé dans le cadre du Studio Théâtre à La Louvière, quatre textes ont pu être montés et sont au­jourd'hui publiés. Tous ont voulu se colle­ter avec des réalités contemporaines com­plexes, chaque fois douloureuses à leur façon et qu'il paraissait urgent de mettre en scène. Dans Politiquement correct, Frank Livin décrit la trajectoire d'un jeune mili­tant socialiste, qui a cru au « retour du cœur » promis par le Parti dans les années quatre-vingts et qui veut renoncer à l'enga­gement, dix ans plus tard, dégoûté par l'im­mobilisme, le clientélisme, les manœuvres sordides, la langue de bois et les trahisons. Un membre d'un comité blanc propose en alternative la « révolte citoyenne » sans défi­nir exactement quelles en seraient la forme et la finalité. Bien avant qu'éclaté l'affaire Dutroux, Jean Leroy avait perçu l'acuité et la profondeur du drame de la pédophilie.


Pascale TISON
La rapporteuse suivi de Le bruit des rêves
Lansman Editeur
Carnières-Morlanwelz
1997
47 p.

Il propose, avec L'homme interdit, un texte poignant où un homme va au bout de ses désirs pour devenir un « assassin d'inno­cence » : « Le désir me tordait le ventre, je me suis servi. C'est ce que font tous les hommes sur cette terre, non ? ... Et puis, qu'est-ce qu'un enfant ! Une petite chose qui ne sait rien de la vie. Une jolie poupée à peine sortie de son carton, à qui il faut tout apprendre. » L'auteur se garde des leçons de morale fa­ciles : il analyse l'illusoire voyage d'un indi­vidu « au pays des anges » en tentant de cer­ner ses pulsions et ses ambiguïtés. Pour sa part, ce sont les implications de la crise éco­nomique qu'Emmanuel Loretelli s'efforce de comprendre : désespoir de Luis, qui n'entrevoit plus d'avenir que dans les marges de la légalité ; désillusion de Char­lotte, qui a trimé et obtenu un diplôme pour, finalement, « un matin pas comme les autres se leve(r et) aller pointer » ; incompré­hension et cynisme du père de celle-ci, sa­tisfait d'un monde où règnent « le coca cola et le système bancaire ». L'unique échappa­toire résiderait dans l'engagement malgré tout de Ben, au plus loin des crises de larmes d'Adrien, personnage central et éponyme de la pièce de Janine Laruelle. Meur­tri d'une blessure secrète, Adrien se voit submergé par les informations tragiques que déversent les médias et s'en veut de ne pou­voir endosser tous les malheurs du monde. De facture inégale, ces Nouvelles écritures té­moignent surtout des malaises d'une société qui se cherche, lassée des réponses toutes faites de la pensée unique. Jean Collette et Toni Cecchinato, les au­teurs de Garage des ancêtres, ont visiblement du métier et savent disposer quiproquos et situations équivoques qui gagnent les rires ou les sourires. Six retraités refusent l'état dégradant de petits vieux attendant patiem­ment la mort. Ils investissent un garage désaffecté qu'ils rénovent en maison com­munautaire. Ils ne pourront toutefois laisser de côté tous leurs préjugés ni les tracas de leur vie antérieure : les espoirs déçus, les échecs, les enfants qu'ils ne veulent ou ne peuvent plus voir, le fils qu'ils n'auront ja­mais...

Editeur des ouvrages précités, Emile Lans-man est devenu une référence dans le monde du théâtre et de l'édition. Son tra­vail d'éditeur avait commencé par la publi­cation, en 1989, de La Rapporteuse, une œuvre de Pascale Tison qui vient de repa­raître avec Le bruit des rêves, un court mo­nologue. La Rapporteuse confronte des pa­roles de femme et d'homme entre amour et déchirement, entre fuite et confidence. « Ce choix, dit-elle, que tu n'as pas fait entre elle et moi m'a fait vivre cette histoire comme un mensonge, une zone fantôme... » La vérité gît dès lors dans les blancs des souvenirs, dans les nuances que pose une langue précise et poétique.

Laurent Robert

1. Le Soir, 26 décembre 1997.