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Critiques de livres


Colette Nys-Masure
Célébration de la lecture
Bruxelles
La Renaissance du Livre
Coll. "Références"
2005
162 p.

Peindre, lire, écrire
par Christian Bréda
Le Carnet et les Instants n° 141

Dans Les Dents de Bérénice, Jean Roudaut notait qu'«une similitude existe entre lire et contempler : la peinture propose un trajet, impose des mises en rapport, des déchiffrements; le livre est amplification de la lettre, qui est dessin». «Entre le tableau et le livre, le lien est étroit, ajoute Colette Nys-Mazure en préambule de Célébration de la lecture. Non seulement la page, la toile, déploient leur étendue à peupler, mais l'une et l'autre s'ouvrent telles des fenêtres sur le monde.» Dès l'Antiquité, mais surtout à partir de la Renaissance, les livres, la lecture et les bibliothèques ont fasciné les peintres, qui en ont fait des motifs picturaux privilégiés. Leurs tableaux en retour fascinent les lecteurs que nous sommes. Au hasard de ses visites dans les musées, chacun se souvient avoir eu la curiosité piquée par une Bible ouverte sur un lutrin dans une Annonciation, un grimoire corné gisant auprès d'un crâne dans une Vanité, un érudit recueilli parmi les livres de son cabinet de travail, une coquette lisant un billet doux à la dérobée, une jeune femme allongée rêvant, un volume ouvert à ses côtés, un lecteur de journal attablé au café dans une toile fauve ou cubiste… Une sorte de ménage à trois s'instaure entre le peintre, le sujet représenté et le regardeur – où l'on ne sait bientôt plus qui observe l'autre. Tantôt le lecteur – qui est souvent une lectrice – délaisse l'ouvrage en cours pour lever les yeux sur nous, comme pour nous prendre à témoin ou pour mieux nous happer dans le tableau. Tantôt il nous tourne le dos, nous invitant à lire par-dessus son épaule ou nous signifiant au contraire qu'il a pris pied dans un ailleurs où personne ne peut le rejoindre.

Pour s'animer, le livre, comme le tableau, a besoin de la collaboration active de qui s'y absorbe. C'est le pari qu'a relevé Colette Nys-Mazure. Dans Célébration du quotidien, elle avait confié sa passion pour les tableaux présentant un lecteur ou une lectrice, aux «visages clos sur leur plaisir attentif», dont elle collectionne les reproductions. Célébration de la lecture nous ouvre les portes de ce musée imaginaire. Les œuvres ici rassemblées, célèbres ou inconnues, se suivent et se répondent dans un désordre chronologique savamment concerté, dissimulant une cohérence plus secrète : l'ouvrage s'ouvre sur la description d'une toile de Fantin-Latour aujourd'hui disparue, et qu'on ne peut donc qu'imaginer; il se conclut par un tableau représentant une table vide dans un jardin : le lecteur a déserté la scène, et nous sommes invités à prendre sa place. Entre les deux, les tableaux composent un petit répertoire iconographique des gestes, des rituels et des manies qui entourent le livre, la lettre, l'écrit et la lecture. Colette Nys-Mazure commente en vis-à-vis chacun d'entre eux, d'un texte court, finement ciselé, où la description attentive sert parfois de tremplin à une ébauche de fiction. Elle les interroge, les passe au crible de sa sensibilité, se les approprie, les recrée en quelque sorte, non sans tenter dans cerner le mystère : mystère de ces lecteurs (à quoi songent-ils?); mystère de la lecture même, qui nous fait voyager à bord d'une fiction parallèle à la vie réelle, à la fois absents et présents au monde qui nous entoure. Et tout le mérite de ces proses brèves est justement de ne pas refermer les tableaux sur leur signification, mais de les ouvrir au contraire – comme un livre – sur une dimension imaginaire, à l'égal de la lecture qu'ils célèbrent.