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Critiques de livres


Serge A. CLAEYS
Petite apocalypse
coll. L'Orange bleue
L'Arbre à Paroles
1999
60 p.

Destin des hommes

L’Arbre à Paroles assume une produc­tion   régulière   d'un   recueil   de poèmes par semaine. A ce rythme, on pourrait parler de productivité digne d'une usine mais ce serait faire bon marché du service que rend cette maison d'édition aux nombreux poètes qui se pressent au portillon. Et ce serait aussi oublier que d'autres maisons éditent à une vitesse plus ébouriffante encore.

Dans la production récente de cette maison, trois recueils ont particulièrement retenu notre attention.

Serge Antoine Claeys, que l'on sait philo­sophe avant d'être poète (à moins que l'un ne soit indissociable de l'autre) livre avec Petite apocalypse une réflexion sur le destin d'un homme. En l'occurrence, cet homme est un poète et il se trouve tiraillé entre l'envie d'écrire et l'envie de se taire, entre le désir de vivre sans laisser de trace et le désir de laisser une trace sans avoir peut-être vrai­ment vécu. Cet Horatio, qui dialogue avec son démon ou avec sa servante, est bien conscient de ses pouvoirs de poète, de sa ca­pacité à perpétuer une émotion, à inscrire dans l'histoire un personnage (ainsi peut-il immortaliser Hedwige, sa servante, qui ne voit dans les livres que des pièges à pous­sière) ; il n'en est pas moins conscient de la fragilité de sa chair ou de son goût pour les biens matériels.


André MIGUEL
De l'autre côté du rien
coll. L'Orange bleue
L'Arbre à Paroles
1999
62 p.

Il sait aussi qu'un homme est à lui-même un monde entier qui finit toujours, tôt ou tard, par disparaître... De prime abord, le recueil de Serge Claeys désarçonne ; sa forme, inhabituelle, ressem­ble plus à un monologue théâtral qu'à des poèmes. Ceci n'est pas un reproche car on comprend très vite que le mode de ré­flexion, l'interrogation philosophique ou les injonctions qui traversent le texte trouvent ainsi leur meilleure formulation. Petite apo­calypse est un recueil exigeant, sans conces­sion, sur une angoisse que nous partageons tous.

Je n'ai jamais été, je dois bien le recon­naître, un passionné de la poésie d'André Miguel. Allez savoir pourquoi ? Je n'ai jamais rien eu, non plus, à lui reprocher. Sans doute, est-ce une question d'affinités, de communauté d'émotions. Aussi, balbutie­rai-je certainement un peu ; je n'arrive pas à saisir parfaitement cette capacité qu'a Mi­guel de rester à la limite du tragique et de la naïveté, de distiller des historiettes, l'air de rien, qui prennent une densité qu'on n'ima­gine pas d'emblée, de « primesauter » d'un mot à l'autre avec un bonheur qui me semble plus littéraire que vécu. Je me doute, à lire — et à écrire — ainsi que quelque chose m'échappe, désespérément. Mais j'avoue ne pas arriver à toucher l'essen­tiel de ce qu'indique Miguel, dont les poè­mes m'apparaissent trop souvent comme des manières de cadavres exquis retravaillés.


Daniel SIMON
Epiphanies
coll. L'Orange bleue
L'Arbre à Paroles
1999
86 p.

J'espère que mon lecteur comprendra ce que j'ai pressenti sans pouvoir le formu­ler... De l'autre côté du rien est écrit sur un mode tantôt léger et tantôt grave ; c'est le livre d'un auteur qui médite sur son grand âge et qui sait qu'il n'a plus beaucoup d'avenir. Qu'il s'agisse du rien, du vide ou de la mort n'est, tout compte fait, qu'une question de vocabulaire pour masquer un accomplissement inéluctable. Ce que Serge Claeys évoque philosophiquement est ici inscrit dans la chair. Qu'André Miguel me pardonne de rater l'émotion de ses poèmes, qu'il sache néanmoins que l'humanité de sa parole m'a bouleversé. Avec Epiphanies, Daniel Simon donne un re­cueil écrit sur une vingtaine d'années et dont le titre s'impose. Il dit un creux à remplir, une pulsation, du dehors au dedans, ou l'in­verse. Il déchante puis ranime, affame puis rassasie, se dit dressé, usé, déçu. En désarroi, il recherche l'échange amoureux, l'avidité du ventre, attend les caresses ; il veut faire parler le corps là où la parole le lasse. Au passage, il s'interroge sur la difficulté de vivre et la perti­nence du poème. « Tout se mélange et rien / ne semble tenir sa promesse » mais « Le bon­heur, c'est peut-être / un peu de vie / sous­traite au tumulte ». Dans ces textes, beau­coup de choses se passent dans la nuit, durant la nuit à moins que la nuit elle-même... La part obscure de l'auteur est la part belle et le rapport est fréquent entre le texte et l'ombre. Le poète qui « demeure absent de son his­toire / depuis l'école communale » use plus qu'à son tour des mots « sperme », « givre » ou « tatouage », comme pour laisser une trace, dans un dernier sursaut. L'Horatio de Claeys s'interrogeait : faut-il vivre ou écrire ? Les Epiphanies de Simon répondent dans la douleur. Mais le recueil s'éclaircit au fil des pages et sa « Petite suite pour rien... » est une merveille, dense et lu­mineuse.

Jack Keguenne