pdl

Critiques de livres


Raoul VANEIGEM
Pour l'abolition de la société marchande !
Pour une société vivante
Payot
2002

Les dadas de Raoul

Vaneigem — qui en eût douté? — se relit, persiste et signe : « Nous voulons créer un style de vie qui privi­légie à tout âge les jeux d'apprentissage, la créativité, l'émulation, la curiosité, l'imagi­nation, la passion de la découverte, l'ouver­ture à soi et à ses semblables, l'éveil au corps en tant que lieu de jouissance, l'in­vention du merveilleux, frappant ainsi de désuétude le fétichisme de l'argent, le tra­vail, la cupidité, la volonté de puissance, la combine, la manipulation, la compétition, la concurrence, le calcul, l'agressivité, le repli caractériel, la frime, l'exclusion, la sé­paration, la culpabilité, le sacrifice, la dé­pendance, le clientélisme, le grégarisme, l'identification à un clan ou à une image de marque. »

Quoi de neuf dans ce troisième mouvement d'un opus qui plaida naguère Pour une internationale du genre humain et placarda en­suite, solennellement, sa Déclara­tion universelle des droits de l'être humain ?

En premier lieu, la critique acerbe et argumentée d'un mouvement antimondialisation trop souvent confiné « dans une position défen­sive », manquant d'imagination créatrice, dépassant rarement le stade des larmoiements humani­taires, se rengorgeant d'une sorte de « triomphalisme du désespoir » — pour tout dire : décidément dé­pourvu d'un « projet de nouvelle société ». À l'inverse, Vaneigem témoigne de son souci d'être le plus concret, le plus pratique possible en jetant « les bases d'une société humaine », d'une nouvelle, osons le mot, économie qui satis­fasse les « besoins en chauffage et en électri­cité des populations urbaines et rurales », restaure « le bon goût et la santé » (entends-tu, Nietzsche ?), promeuve « la gratuité des services publics » et reconstruise un ensei­gnement déglingué : voici quelques-unes des tâches prioritaires.


Raoul VANEIGEM
L'art de ne croire en rien suivi de Livre des trois imposteurs
édition établie et préfacée par Raoul Vaneigem
Rivages poche
Petite Bibliothèque
2002
174 p.

Ajoutons enfin que c'est la première fois, à ma connaissance l que Vaneigem use de l'ar­gument ad hominem pour se défendre du re­proche d'utopie par lequel ses adversaires prétendent lui clouer le bec : « L'utopie ? Vous n'avez cessé de vous y vautrer ! Vous avez exalté la Cité de Dieu et ses bûchers ; la stabilité sociale de Rathier de Vérone, ci­mentée par la hiérarchie des prêtres, des guerriers et des travailleurs ; le peuple élu du IIIe Reich millénariste ; le socialisme consommable, dont les démocraties de super­marchés assuraient la vente promotion­nelle... »

Par ailleurs, Vaneigem l'hérésiologue pour­suit son travail de sape des religions : il pré­face et établit l'édition de L'art de ne croire en rien qui valut à son auteur, Geoffroy Vallée, d'être pendu à 24 ans, en 1574 : ce déiste condamnait toutes les religions comme obs­curantistes et crétinisantes, parce qu'elles re­commandaient la foi aveugle du charbon­nier. Quant au Livre des trois imposteurs, il brocarde violemment Moïse, Jésus et Maho­met, auxquels déjà Averroès adressait une nasarde. Les auteurs supposés de ce Livre (qui ne contribue pas peu à écorner l'image trop reçue d'un Moyen Age unanimement reli­gieux) sont légion ; cela va des mandéens du 1er siècle (partisans d'un syncré­tisme du judaïsme et du christia­nisme) au Genevois Jacques Gruet, dans les années 1540 !

Pol Charles

1. Aurai-je (oui !) l'immodestie de me citer ? Voir mon ouvrage, Vanei­gem l'insatiable, paru à l'Âge d'Homme.