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Critiques de livres

Quelques nouvelles de l'autofiction

Le début est relativement alléchant : l'auteur, Alain Cofino Gomez, qui jusqu'ici avait surtout investi l'es­pace théâtral, se met en scène à la veille d'une expédition au caractère ethnolo­gique : la rencontre avec les habitants de logements sociaux situés à Schaerbeek, dans le quartier de la rue Marbotin. A la description d'Alain Cofino Gomez — le personnage principal du récit — s'habillant, se chaussant, sor­tant et se rendant dans le quartier en question, il joint celle de l'origine de son projet : la commande d'un éditeur, la manière dont il pense entreprendre ses travaux d'approche, l'arrivée dans le quartier et le premier contact avec ce quartier populaire, dans un typique tro­quet nommé « Le Roi de la Stella ». La suite n'est pas si mal : en attendant que les rencontres adviennent, que les vi­sages s'éclairent et lui parlent de la four­millante vie de ces logements, le person­nage-auteur laisse remonter à la surface de sa mémoire quelques souvenirs de jeunesse dans cette ville où, fils de l'im­migration espagnole, il a vécu et qu'il aime d'un amour franc et sincère et mé­rité. L'ensemble, lui, ne tient pas toutes ses promesses, et s'enlise dans le pro­cédé littéraire que l'auteur choisit pour inviter le lecteur dans son univers, et d'une certaine manière, l'y englober : l'autofiction.

Sans vouloir créer un débat sur cette pratique très particulière et pourtant sé­culaire — le Diderot du Neveu de Rameau n'en fait-il pas déjà usage ? — de l'écriture romanesque, je voudrais ici mettre en évidence quelques-uns des avantages et des inconvénients qu'il apporte à ces Quelques nouvelles de la grande expédition au coin de la rue. Des avantages, j'en vois essentiellement deux. D'abord, il permet à l'auteur d'analyser et de décrire sa propre dé­marche du début à la fin : la manière dont il établit le contact avec ceux qu'il appelle les Marbotins, la succession des rencontres ou de celles, aussi nom­breuses que ces dernières, qui n'ont pu avoir lieu, les bonheurs et les insuffi­sances de son entreprise. Le deuxième avantage du procédé chez Cofino Go­mez, qui, comme le Guibert du Proto­cole compassionnel ou le Farge de One Man Show, sait très bien en tirer parti, est qu'il permet de structurer le récit, en prenant pour fil conducteur l'écriture et son processus, c'est-à-dire le récit lui-même, occasionnant par là-même un effet de doublage du texte, qui trouve son aboutissement et sa raison d'être dans l'unité retrouvée à la toute fin du livre, lorsque l'auteur en vient inévita­blement à dire qu'il se concentre pour écrire ces paragraphes que le lecteur dé­vore depuis les premières lignes. Pour éviter de faire deux poids, deux mesures, j'épinglerai également deux in­convénients. Le premier ne tient que lorsqu'on a pratiqué plusieurs récits de ce type : les autofictions — celles qui se réclament comme telles, qui courageu­sement assument leur conséquences — en viennent toujours à se ressembler l'une l'autre, et celle-ci n'échappe pas à ce douloureux constat. Chez Cofïno-Gomez aussi, le serpent se mord volon­tiers la queue : le personnage s'affirme auteur virtuel, et joue d'une ambiguïté permanente avec l'auteur réel, ambi­guïté qui finit par devenir le point cen­tral du bouquin. Mais qui ne parvient pas à cacher le deuxième inconvénient : l'insuffisance de la matière-même du livre, cette enquête humaine à laquelle l'auteur était censé se livrer, sa volonté de faire revivre un territoire à travers la mémoire des habitants d'un quartier de Schaerbeek. Désagréable sensation que cette écriture reste avant tout une affaire d'écrivain ; trop occupé à vanter les mé­rites de son chapeau, le prestidigitateur en oublie de sortir le lapin. A défaut d'un juteux civet à la gueuze ou à la kriek, le lecteur prendra peut-être plaisir au stoemp littéraire qu'Alain Cofino Gomez, auteur et personnage-auteur, fait mijoter pour lui dans son haut-de-forme.

Pascal Leclercq

 

Alain COFINO GOMEZ, Quelques nouvelles de la grande expédition au coin de la rue, Bruxelles, CFC-Editions, coll. La ville écrite, 2004.