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Critiques de livres


Raoul VANEIGEM
Salut à Rabelais !
Une lecture au présent
Bruxelles
Complexe
2003
164 p.

Quelle belle tête de mule !

Terrible, ce Rabelais revisité, le plus souvent applaudi, parfois égratigné par Vaneigem : « La part la plus faible de sa pensée tient à coup sûr à cette peur et à ce mépris de la femme... » Terri­blement notre contemporain, Rabelais : lors de la « fête des crevailles », les goinfres ex­plosaient, comme on voit aujourd'hui « qu'aspirés par le terrible néant de la vie, des jeunes gens s'enflent d'idées mortes et se ceignent d'explosifs pour périr en entraî­nant leurs semblables dans la mort ». À l'issue de cette revisite, Rabelais apparaît comme l'indéniable précurseur d'un Vaneigem opiniâtre qui persiste et signe. Et de miser sur la générosité (à l'instar d'un Gar­gantua miséricordieux envers Picrochole qui a dévasté son pays), et de recommander la correction des erreurs plutôt que le châti­ment, et de relayer le mépris affiché dans le Gargantua envers les prêtres, ces « impos­teurs [...] qui empoisonnent les âmes », et de souligner l'audace impavide (dangereuse en ce temps-là) de qui se gausse de la virgi­nité de Marie en racontant un accouche­ment par l'oreille (« Mais si le vouloir de Dieu tel eût été, diriez-vous qu'il ne l'eût pu faire ? »), et de louer la célébration « de l'animalité et de son affinement », et d'ap­plaudir au progrès didactique accompli quand on passe de la première éducation dispensée à Gargantua (ennui et passivité de l'élève gavé de connaissances désincarnées) à la seconde (« une éducation permanente permettant à l'enfant de devenir adulte et à l'adulte de retrouver la curiosité émerveillée de l'enfant »), et de célébrer enfin, en point d'orgue, la fondation de l'abbaye de Thélème, « projet de société où la liberté et raf­finement des mœurs éradiqueront la barbarie des fanatismes religieux, idéologiques et marchands... »


Raoul VANEIGEM
Rien n'est sacré, tout peut se dire !
Réflexions sur la liberté d'expression
Paris
La Découverte
2003
93 p.

Le sujet de Rien n'est sacré, tout peut se dire avait été, jusqu'ici, moins largement abordé par Vaneigem. Qu'à cela ne tienne : la li­berté d'expression doit être « sans limite » — morale, politique ou juridique. Ça fera hurler quelques âmes trop belles pour être tout à fait honnêtes : ici hantées par l'obses­sion sécuritaire, là préconisant l'interdiction pêle-mêle des ouvrages négationnistes et du voile islamique, ailleurs frileusement ca­mouflées sous le secret d'État. À rebours, Vaneigem : « Autorisez toutes les opinions, nous saurons reconnaître les nôtres... » Interdit d'interdire, avec ce cor­rectif considérable : « L'absolue tolérance de toutes les opinions doit avoir pour fonde­ment l'intolérance absolue de toutes les bar­baries. » Y compris n'importe quelle sacrali­sation : puisque « la religion relève d'une transaction personnelle [...], il est inadmis­sible qu'elle s'impose sous les dehors d'une institution, ecclésiale ou étatique, devant la­quelle il faille s'incliner ». Interdit d'inter­dire, encore, quand l'interdiction n'éradique (elle les conforterait plutôt) ni la bêtise ni l'ignominie. L'antidote ? « ... la meilleure critique d'un état de fait déplorable consiste à créer la situation qui y remédie. » Interdit d'interdire, enfin, car ce serait mépriser ceux à qui s'adresse un discours nocif (raciste, sexiste, sadique, sectaire, nationaliste, etc.) et « les supposer inaptes à le rejeter comme aberrant ou ignoble ».

Toute vérité se trouvant bonne à dire, Va­neigem réserve à quelques-uns des coups de griffe meurtriers : « Ne voit-on pas l'hor­reur de l'holocauste, dont le souvenir de­vrait prémunir contre tout acte inhumain, servir de caution à une politique israélienne qui accable le peuple palestinien et accuse d'antisémitisme quiconque élève la voix pour la réprouver ? » Et pan sur le bec de la téléréalité qui magnifie spectaculairement « l'exhibitionnisme d'individus choisissant de dévoiler leurs gestes quotidiens à des millions de spectateurs [...], installant ainsi de leur plein gré le système de surveillance dont George Orwell avait fait, sous le nom de Big Brother, l'arme formidable d'un pouvoir usant de la technologie à des fins totalitaires ».

De telles pages salubres, on en redemande, à notre immense provocateur !

Pol Charles