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Critiques de livres

Théâtre-action de 1996 à 2006. Théâtre(s) en résistance( s)
ouvrage collectif coordonné par Paul Biot
Cuesmes
Éd. du Cerisier
coll. Place publique
2006

Créer ensemble
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 146

Et si la création théâtrale collective donnait visage et voix, corps et âme, à cet espoir indestructible, cette féconde utopie : Changer le monde, changer la vie, changer la culture?

Trouvant sa source dans le pouvoir de rêver, d'imaginer, et ses racines dans une réalité quotidienne souvent âpre, difficile, le théâtre-action veut inventer une nouvelle relation entre les milieux populaires et le théâtre, devenu moyen d'expression, de prise de conscience, de combat à la fois social, politique et culturel.

L'idée germait dès les années soixante, et quelques groupes théâtraux se lançaient dans l'aventure. Mais il leur faudrait remuer ciel et terre avant que la Communauté française reconnaisse et fixe la philosophie et les missions du théâtre-action et soutienne les compagnies agréées. De la circulaire historique de l984 à l'arrêté d'application du Décret sur les arts de la scène de 2005.

Un premier état des lieux de ce théâtre populaire militant voyait le jour en 1996, aux Éditions du Cerisier : Théâtre- action de 1985 à 1995. Itinéraires, regards, convergences. Dans son sillage paraît aujourd'hui, toujours sous les ardentes couleurs du Cerisier, un deuxième inventaire : Théâtre-action de 1996 à 2006. Théâtre(s) en résistance(s). Résistance au discours dominant, aux idées toutes faites, au conformisme, à la résignation.

Car là est le défi, le pari, l'enjeu essentiel : faire entendre la voix de ceux que la société oublie, ignore, exclut. Dans des productions autonomes, jouées par des comédiens-animateurs, et, surtout, dans des ateliers où le projet, le travail sont portés, menés par une compagnie et une maison de quartier, une école, un centre de jeunes, un CPAS… Il s'agit pour chaque participant d'oser inventer sa propre parole, de la confronter à celle des autres membres du groupe, d'élaborer ensemble une partition commune et de la représenter en public. Utiliser le théâtre pour «libérer la vie que l'homme emprisonne». Témoigner d'une réalité vécue, la faire voir, ressentir, partager.

Coordonné par Paul Biot, cofondateur de la Compagnie du Campus, directeur jusqu'il y a peu du Centre du Théâtre action, réunissant des dizaines d'auteurs et collectifs de rédaction, belges et étrangers, ce livre-bilan explore toutes les facettes de ce mouvement à la croisée de l'art et du social, du théâtre traditionnel et de l'éducation permanente : conceptions, expériences, débats, interrogations, perspectives… Aux quatre coins du monde, du Québec au Burundi.

Dommage, cependant, que les écrits théoriques ne laissent guère de place aux récits sur le vif de l'histoire d'un spectacle, à des textes de pièces bâtis en ateliers.

Résolument engagé, dissident, subversif, se riant des frontières, le théâtreaction a son Festival international, qui prend toute son ampleur à partir de 1994, mais avait été précédé, annoncé dès 1986, à Bruxelles, par les premières Rencontres internationales, qui se déroulaient au Botanique.

Au-delà d'une foisonnante diversité de contextes, de pratiques, de méthodes, il vise toujours à réveiller, interpeller, bousculer. Contester la société, ses injustices, ses failles. Mettre en mots, en scène, la colère, la détresse, le manque, la rébellion, l'espoir des plus défavorisés. À la lumière du message de Paolo Freire : «Étre capable de dire le monde, c'est déjà comprendre qu'on peut le transformer.»