pdl

Critiques de livres

Gabriel Thoveron
Qui fait peur à Virginia Woolf?… élémentaire mon cher Lupin!
Bruxelles
Éd. Le Grand Miroir
2006
176 p.

On ira tous aux parodies
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 146

La falote Virginia (Woolf) et la moustachue Vita (Lady Sackville-West) ne peuvent plus tranquillement vivre d'amour et d'écriture. Non seulement sont-elles menacées par des lettres anonymes, mais voilà même qu'elles se font enlever, pendant une nuit londonienne gluante de brouillard, par un chauffeur de taxi. Heureusement, Scotland Yard veille et les délivre rapidement, mais s'inquiète pour leur sécurité future. C'est que le mari de Vita est diplomate en poste à Téhéran, chargé d'une mission secrète délicate; son épouse pourrait donc faire les frais de représailles contre l'Empire ou, au moins, subir d'intimidantes pressions. Sherlock Holmes veillera à leur sécurité le temps d'un séjour sur le Continent. Or, à peine débarqué, Holmes remarque l'intrigante présence d'Arsène Lupin. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps, ils ne poursuivent certes pas les mêmes buts, mais ils cultivent l'élégance et l'intelligence et s'ils ont, chacun, toutes les curiosités pour les affaires de l'autre, ils savent aussi qu'ils ont bien vieilli. Alors, plutôt que de se surveiller mesquinement, pourquoi ne pas sagement s'associer pour mieux protéger ces dames. Chacun y trouvera certainement son profit…

C'est bien du genre policier que ce roman relève, tous les ingrédients s'y trouvent et l'intrigue caracole par des souterrains secrets pour se dénouer en fin heureuse – ou presque…

Maxime Benoît-Jeannin
Mémoires d'un ténor égyptien
Bruxelles
Éd. Le Cri
2006
160 p.

Si Gabriel Thoveron place son livre sous le signe du «divertissement littéraire», c'est effectivement parce qu'il s'y amuse à multiplier les situations rocambolesques et les clins d'œil au lecteur. Mais, derrière cette apparence joyeuse, il y a une politique-fiction et Thoveron ne s'illusionne pas sur l'état du monde ni la manière dont il est gouverné. De même qu'il ne manque jamais l'occasion de pimenter son texte de notes morales. Ce n'est pas idéal d'être coincé(es) entre un policier et un cambrioleur, mais, entre les griffes de la jalousie et la possibilité d'un péril jaune, nous vivons candidement, en permanence, sous les menaces, réelles ou imaginaires. «Et si après tout la planète n'existait que pour servir de champ de conquêtes à quelques grands génies de la délinquance?»

Sous ses airs désinvoltes, voilà un divertissement qui réussit à poser les questions graves. Gabriel Thoveron est de cette espèce d'impertinents qu'on gagne à fréquenter.

Maxime Benoît-Jeannin, sans doute moins soucieux de considérations politiques et morales, mais aussi intéressé par les possibilités divertissantes du roman, choisit le récit burlesque et loufoque sur le mode fantasque, quoique sa construction relève d'une méthode oulipienne. Elle ressemble trait pour trait à ce qu'un de ses personnages voudrait écrire, «un vrai roman», c'est-à-dire «un artefact où le lecteur fait l'essentiel du travail» dans lequel «il n'y aurait plus rien que de brèves images se succédant dans le plus grand désordre». Oui, mais comment en donner une idée? Et bien disons que notre héros, pour l'instant libraire, se mue en enquêteur, observateur et/ou agent de sécurité d'une de ses clientes, au demeurant bien en chair, même si une de ses mains, gantée, n'est que prothèse (très adroite cependant à certaines pratiques voluptueuses très en accord avec ses lectures – pas de la main, de la dame! – favorites), qui (la cliente, donc) se sent menacée par un motocycliste évanescent (ou ce qui y ressemble). À vrai dire, à l'instar de SuperRoman (autre personnage majeur du livre) qui hésite à se lancer du haut du building de L'Éternité (la gazette pour laquelle il travaille) pour survoler la Banane Bleue (cette ville nauséabonde) parce qu'il craint manquer d'énergie et chuter douloureusement avant de s'écraser sur le trottoir d'en bas, j'ai quelques hésitations à me lancer dans le schéma de ce récit. D'autant plus que les personnages y changent volontiers d'identité, voire de profession, que les liens qui les unissent se sont le plus souvent tissés jadis, lorsqu'ils se fréquentaient à Oulan-Bator, une époque que tous préfèrent pudiquement ne pas évoquer. On l'aura compris, la chronologie aussi suit des caprices que seule la lecture recadre sauf apparition de faille spatio-temporelle. À moins qu'on ne finisse par s'apercevoir que ni l'auteur ni le lecteur ne maîtrisent le déroulement du récit, car un des personnages manigance discrètement les rebondissements saugrenus…

Le texte est la vérité d'une fiction qui suit son cours. Un mot ici et un nom là se condensent pour produire des effets ailleurs et dérouter tant les mouvements ou le raisonnement du personnage… que le lecteur qui reste toujours captif et adhère à ce qui lui est annoncé, même si c'est improbable. Du roman comme une marionnette qui fait gentiment trébucher dans ses fils quand l'auteur ne les laisse pas trop distendus.