pdl

Critiques de livres

Le silence de la lettre

Curieuse entreprise que celle de Louise de Gursé (anagramme de la célèbre comtesse ?) : pas moins qu'un pastiche de roman épistolaire à la mode XVIIe. Pastiche, mais pas jeu pour au­tant. Le propos n'est pas de divertir mais, semble-t-il, de s'inscrire dans une tradition, celle qui porte les aveux de ces grandes amoureuses qui jalonnent notre littérature. Or, y a-t-il forme plus appropriée à la confession impudique que celle de la lettre, où le délai autorise toutes les audaces ? Et s'il s'agit d'exprimer les méandres d'un sen­timent, la langue classique n'y est-elle pas la plus apte, elle qui excelle à sinuer avec élé­gance dans le registre des passions ? Il faut souligner que l'auteur manie celle-ci avec une habileté consommée et que rares sont, tout compte fait, les moments où le procédé prend le pas sur l'artifice (au sens noble du terme). Le plus surprenant reste néanmoins que ce style, suranné s'il en est, s'adapte avec justesse à un personnage par ailleurs très contemporain. Si l'amour transi et désespéré n'a pas d'âge, la solitude et l'in­communicabilité qui le caractérisent ici ressortissent à notre monde moderne, dont la profusion des gestes et des messages n'a d'égale que la pauvreté de leur contenu. Tenter de renverser ce processus, faire le vide autour de soi et en soi pour capter les traces les plus infimes d'un être aimé, si proche par le voisinage, si lointain pour­tant, telle est l'ascèse que s'impose l'amou­reuse. Jusqu'à l'aveu de la lettre — comme la reconnaissance d'une escroquerie de tous les instants — qui se clôt sur l'acceptation d'une sérénité durement conquise. On ai­mera ou l'on détestera ce texte qui porte tous les stigmates de l'excès. Mais ne serait ce pas qu'il relève en fait d'une certaine forme de théâtralité, si bien que l'on se prend, malgré soi, à le lire à voix haute ? On imagine aisément un personnage seul en scène, dans cette longue dérive entre mur­mure et cri. Et l'on baisserait alors le rideau sur le silence, ce silence qui, après tant de mots, « sera[it] comme l'indicible poésie de toute [cette] prose, l'écho prolongé de [cette] lettre.

Dominique Crahay

Louise de GURSE, Tous les matins de mon amour, Talus d'approche, 1995