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Critiques de livres


Pie TSHIBANDA
Avant qu'il soit trop tard
récit
Bruxelles
Memor
coll. Couleurs
2004
107 p.

Couleur : métis clair

Pie Tshibanda nous offre une nou­velle histoire, cette fois aux édi­tions Memor dans la collection Couleurs. Avant qu'il soit trop tard, sous-titré récit, fait vivre, au travers de l'histoire de Jean-Thierry, un pan de notre histoire coloniale et des drames individuels qu'elle a pu susciter : ma­riages mixtes difficiles, enfants métis re­jetés par tous, sans compter toutes les déchirures des déracinements... Nous retrouvons ici la verve de Pie Tshibanda qui nous avait interpellés avec son spectacle si prenant Un fou noir au Pays des blancs, mais ici, point d'humour, le récit est triste avec un petit goût moralisateur à certains mo­ments.

Jean-Thierry nous est présenté comme un patient, mais on peut supposer que notre écrivain-psychologue respecte la déontologie et que son héros, s'il puise son histoire dans la réalité, est cependant un héros de papier, représentatif de toute une catégorie de personnes, celles qui sont nées des mariages mixtes dans les années 50 et qui ont eu la malchance que cette mixité se lise sur leur peau. Il s'agit donc d'un drame individuel dont Pie le psychologue décrit toutes les étapes et d'un drame social dont Tshi­banda le sociologue analyse les racines tandis que l'écrivain en profite pour nous décrire les sentiments et les coutumes de ses personnages en ces années-là. « Aminata avait beau être une négresse, la nature l'avait parée des appas qui fai­saient d'elle une jeune femme tellement envoûtante qu'elle pouvait faire oublier à un blanc les cloisons conventionnelles entre races. Ses formes rappelaient un chef-d'œuvre taillé dans un roc par un artiste de génie. Autour de son nombril, des scarifications en forme de fleur ajoutaient à l'exotisme. » On apprend ainsi que les jeunes Africaines des an­nées cinquante avaient les seins nus et que leur petit pagne laissait deviner les dessous ce qui affolait évidemment les jeunes « blanc-becs » célibataires venus enseigner en Afrique pour « civiliser les nègres miséreux ».

Monsieur Van Bel est l'un d'entre eux : difficile pour lui de supporter le choc culturel, la chaleur, les puces, la solitude. Ses élèves mettent en cause sa virilité : célibataire à vingt-huit ans est-il un homme, un vrai ? Le prêtre du village l'a, de son côté, mis en garde. S'il naissait un mulâtre dans le village, ce serait catastro­phique : « les Noirs sont capables de construire un désert avec un grain de sable ». Et c'est ce qui arrive : la jolie femme noire met au monde des ju­meaux. Mais la famille de Monsieur Van Bel restée en Belgique menace de le déshériter et refuse de recevoir la jeune femme : « Nous n'avons pas de place ici pour un gros singe. » Ses collègues pro­fesseurs ne lui parlent plus. Personne ne l'invite plus jamais. Et la direction de l'école cherche le moyen de le licencier. Le désert avance de plus en plus vite avec l'arrivée des enfants. Monsieur Van Bel accepte de faire adopter les jumeaux en Belgique. Aminata ne lui pardonne pas et retourne dans son village... C'est la vie de Jean-Thierry, un de ses deux en­fants, qui constitue l'essentiel du livre, la difficulté pour un être à la peau bistre de survivre dans l'Europe qui le méprise comme Noir et au Congo où il res­semble trop à un Blanc pour faire vrai­ment partie de la communauté africaine. C'est en même temps un excellent livre pour poser la question de la différence et du racisme et un regard inhabituel sur le monde des Colonies. Un bémol toutefois : lorsque Pie Tshibanda évoque la vie et les idées des femmes d'aujourd'hui, il ne peut s'empêcher à nouveau de faire preuve d'un évident machisme...

Nicole Widart