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Critiques de livres


Gilbert JOURDAN
Une boîte à outils pour s'initier à la philosophie
Espace de Libertés
Ed. du Centre d'action laïque
1997
3e impression
160 p.

Une vulgarisation sans vulgarité

Il faut se méfier d'un certain charlata­nisme qui prétend effrontément, et contre toute évidence, que cuisiner, ou bricoler, c'est facile, et qu'on peut ap­prendre le néerlandais sans peine ! C'est marquer qu'on peut ne pas aborder cette boîte à outils sans réticences. C'est, en effet, qu'un texte philosophique, tout bonnement parce qu'il édifie, au moyen d'un discours particulier, un ou des concepts, est rare­ment transparent ; que sa lecture exige de la patience, de l'obstination, voire de l'achar­nement. Il découle, par ailleurs, qu'au ser­vice de cette analyse se peuvent et se doi­vent dispenser des outils : tel est le rôle de l'initiation à la philosophie. Tel est le but, éminemment démocratique — la philoso­phie constituant un champ de libertés —, que poursuit l'ouvrage de Gilbert Jourdan. Il était important de rappeler d'entrée de jeu, comme s'y emploie l'auteur, que la phi­losophie est avant tout la discipline des questions non résolues — ce qui n'est pas paralysant : tâtonner dans le labyrinthe, s'aventurer dans ce qui s'avère une impasse sont fructueux dès lors que le philosophe balise les chemins impraticables, et consi­dère les questions qu'il se pose d'un œil neuf.

Quelles questions ? Elles tournent exclusi­vement, depuis les présocratiques, autour de trois concepts, sans relâche analysés, complexifiés et remodelés : l'existence du moi-je ; les rapports du moi avec autrui ; ceux du moi avec le monde1. Ceci posé, Gilbert Jourdan peut convier son lecteur à un parcours libre-exaministe des principales doctrines qui se sont édifiées autour de ces problématiques : quid de la transcendance métaphysique ? Comment fonder la connaissance ? Quelle est la nature de l'être ? Quels sont les enjeux de la liberté ? Il n'y aurait rien là d'original si l'auteur n'avait apporté tous ses soins à faciliter — sans vulgarisation qui rendît vulgaire son objet — l'accession de son lecteur à un monde trop souvent réputé — parfois à rai­son — insignifiant, rébarbatif ou mandarinal. Ce qui nécessite des explications du vo­cabulaire et des concepts, grâce à un index des mots-outils, et le renvoi à un corpus de textes d'approfondissement des notions et des positions essentielles. Qui dit synthèse dit choix, prédilection et mésestime. Je regrette personnellement que, de Frédéric Nietzsche, ne soit retenu que le constat de la mort de Dieu ; qu'il ne soit pas fait mention de Schopenhauer ; enfin, que la philosophie analytique anglo-saxonne soit à ce point ignorée que le nom de Wittgenstein, pourtant le plus familier aux francophones, n'apparaisse point. Il y a là matière d'un chapitre à écrire...

Pol Charles

1. Consulter, avec profit, Michel MEYER, Qu'est-ce que la philosophie ?, Le Livre de Poche, Biblio-Essais, 1997.