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Critiques de livres


Guy GOFFETTE
Un été autour du cou
Gallimard
coll. Blanche
Paris
2001
201 p.

Journal d'un été de campagne

Depuis quelques années, Guy Goffette, que l'on connaît avant tout comme poète, est tenté par la prose. Après avoir publié deux récits (Ver­laine d'ardoise et de pluie et Elle, par bon­heur, et toujours nue) dans la collection L'un et l'autre chez Gallimard, après avoir rassemblé dans Partance et autres lieux ses textes précédemment parus en revues ou dans des ouvrages collectifs, il nous livre son premier roman, Un été autour du cou. Et c'est un coup d'essai magistral. Simon est un gamin qui vit dans la compa­gnie plus ou moins forcée de deux garçons de son âge : Nez-Coulant, « un tas de chair flasque qui se mouchait, quand il y pensait, dans ses doigts boudinés » et Freddy dit Mains-Rouges, « parce qu'il avait déjà saigné un cochon ». Il est à la fois leur souffre-dou­leur et le complice obligé de tous leurs coups fourrés. Simon n'apprécie pas leurs jeux. Quand ses parents, qui tiennent l'épicerie-bistrot du village, lui en laissent le temps, Simon préfère admirer les pin-ups qu'il découpe dans les magazines et rêver au moment où il sera un homme, un vrai, avec un opinel et des pantalons ! Pour Simon, l'été de ses douze ans est décisif : II va faire la connaissance de la Monette, l'incarnation parfaite de tous ses fantasmes : « une femme aux lèvres carmin, à la voix rauque, et aux seins d'opéra ». Ce que Simon ne sait pas, c'est que la Monette est une nymphomane insatiable qui, entre deux amants, apprécie particulièrement les jeunes puceaux qu'elle se charge de déniaiser.

Tout aurait pu se passer avec la désinvolte exubérance de Rosette Quinquin, la chanson que les « Gauff au suc' » ont écrite à la gloire d'une prostituée qui faisait le bonheur de quelques gamins pendant ses heures creuses. Mais Simon n'est pas prêt pour ce genre de faveurs. Lorsqu'il rencontre la Mo­nette, sa sexualité est encore un mystère. Pour s'instruire, il se contente de jouer au docteur avec Pauline, sa petite voisine et tente de décrypter les vagues allusions bi­gotes de sa mère ou les évocations vulgaires de Mains-Rouges, ce qui ne l'éclaire guère. Les « entrailles » de l'Ave Maria appelées à la rescousse par sa mère évoquent davantage les abats que le plaisir ; la « trique » et la « verge » de Mains-Rouges rappellent moins le sexe que les instruments utilisés par son père pour le corriger. C'est dire s'il est peu préparé à comprendre, et encore moins à anticiper, les réactions de la Monette qui se sert de lui tantôt comme guetteur (il est censé la prévenir des arrivées intempestives de son mari), tantôt comme d'un vibromas­seur (à l'efficacité toute relative). Elle n'est pas délicate, la Monette ! C'est le moins que l'on puisse dire. Elle est obnubi­lée par son plaisir et ne pense ni à ménager la pudeur de Simon ni à s'embarrasser des préliminaires un peu tendres qui pourraient le mettre à l'aise. Cette rencontre va trau­matiser Simon pour la vie et conditionner ses relations aux femmes et au monde. C'est Simon lui-même qui raconte l'été qui a changé sa vie, bien après les faits. Ressas­ser son histoire est pour lui le seul moyen de « recommencer quelque chose de pur, de tendre, de vivant qui réconcilierait une fois pour toutes ce corps aujourd'hui rejeté comme un vieux jouet, sans usage, au fond de la mémoire, et cet enfant d'avant le drame ». Ce regard a posteriori apporte bien sûr une dimension tragique au roman, mais elle permet avant tout de lui donner son style. Guy Goffette n'a pas voulu re­constituer la langue d'un gamin et nous faire revivre son aventure en temps réel, il a préféré donner à son narrateur le recul de l'âge qui lui permet de prendre en compte avec plus de perspicacité les réactions des personnages qui l'entouraient. Cela nous vaut de beaux portraits, notamment ceux des parents de Simon.

Par bien des côtés, Un été autour du cou évoque Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. La narration est tout aussi alerte et virtuose. Elle n'est jamais encombrée de pesantes di­gressions psychologiques. D'emblée tout est dit : « La Monette avait tout, savait tout ; moi, rien. Elle m'a pris sous son aile, m'a roulé dans ses draps puis dans la farine. Puis foulé aux pieds, puis jeté dehors. J'avais douze ans à peine ; elle, trente de plus. » Le reste est une affaire de style, et c'est un fes­tival. La langue de Goffette concilie ten­dresse et drôlerie, causticité et mélancolie. On se régale !

Thierry Leroy