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Critiques de livres

Alain van Crugten
Principessa
Avin
Éditions Luce Wilquin
2008
150 p.

Amour précoce, amour tardif
par Daniel Arnaut
Le Carnet et les Instants n° 152

Au soir de sa vie, un homme décide de faire une chose qui lui tient à cœur, mais que, par crainte ou par paresse, il ne s'est jamais donné les moyens de réaliser : retrouver la trace de Monique, la femme qu'il aime en secret depuis l'enfance. Cela fait très longtemps qu'il ne l'a plus vue, tout ce qu'il sait (ou croit savoir) est qu'elle a quitté la Belgique afin d'épouser un prince italien. Le voilà donc parti pour un «long vagabondage heureux» qui le mène de Bergame à Florence, en passant par Ferrare, Ravenne, le Lido, la Romagne. Sienne. Il a résolu de s'accorder du temps, et du bon temps. Il loue une Alfa Roméo bleu nuit, loge dans des auberges luxueuses, s'achète des costumes de marque. Il laisse sa pensée errer au rythme de ses pas. Il cherche des informations dans des cybercafés sur une famille princière qui aurait habité la région ou les obtient auprès des gens dont il croise le chemin. Parmi ceux-ci, un étrange personnage, qui se nomme Wolland, dit enseigner à l’université de Bergame et offre un livre intitulé Toskàna, oeuvre du poète tchèque Vladimir Holan (dont les trop brefs extraits qui jalonnent le texte ne donnent qu'une idée assez peu convaincante. Au fil du voyage, il le revoit (ou croit le revoir) à plusieurs reprises, mais le mystérieux donateur a disparu, et il s'avère qu'il n'a jamais été professeur a Bergame — peut-être même n'a-t-il jamais existé. Le protagoniste commence à souffrir de divers symptômes, il égare ou fait tomber des objets, il est victime d'un collapsus qui l'oblige à garder la chambre une semaine. C'est alors seulement qu'il retrouve enfin celle qu'il a cherchée tout au long de son voyage, tout au long de sa vie. Mais la retrouve-t-il vraiment? Ou plutôt celle qu'il retrouve est-elle celle qu'il cherchait? L'auteur se garde bien de nous donner la réponse : il nous propose pas moins de cinq versions différentes de cette rencontre. Et le livre se conclut sur une ultime pirouette : Bernard, le fils, vient chercher son fugueur de père, au terme d'une quête qui l'amène à son tour à sillonner l'Italie, comme si l'histoire était destinée à se répéter indéfiniment.

Principessa est un livre à la fois ambitieux et léger. C'est une méditation sur le temps qui passe, sur la jeunesse enfuie, sur les illusions de l'amour, sur la relativité des choses, sur le jeu de la réalité et des apparences. Qui est ce professeur Wolland qui disparaît sans laisser de traces? Que penser de ce prénom de Monica, qui revient telle une ritournelle, porté par différentes femmes ou fillettes? Que penser de Monica elle-même, cette fille si belle, pleine de gaieté et de simplicité, qui fera carrière comme modèle et que l'on reverra sur des panneaux publicitaires, plus resplendissante que jamais? Tout cela a- t-il seulement existé, ou n'est-ce que le fruit de l'imagination trop fertile du voyageur, du désir qui à la fois le pousse et l'aveugle? Le roman peut se lire comme une énième variation sur le thème faustien du vieil homme qui vend son âme au diable en échange d'une seconde jeunesse. Ou comme une quête initiatique du Graal, où le personnage, pour trouver l'amour, doit chercher son chemin dans la forêt des faux semblants, triompher des sortilèges qui surgissent à chaque détour du chemin. Ou encore comme un jeu de pistes inachevé, de chemins qui se mènent nulle part, truffé de références à Dante, à Chrétien de Troyes, à Cervantes, à Sterne, à Wilde, à quelques autres encore... Des références qui risqueraient d'écraser quelque peu le texte, si celui-ci ne pouvait aussi se lire au premier degré, comme le récit d'un voyage sentimental et nostalgique. Ce qui en fait le charme est incontestablement le ton alerte que l'auteur a su trouver, l'allégresse qui empêche le côté morbide de prendre le dessus, — en un mot la luminosité.