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Critiques de livres


Raoul VANEIGEM
Voyage à Oarystis
dessins de Giampiero Caiti
éditions Estuaire
Carnets littéraires
2005
186 p.

La Cité des désirs

Le roman n'est pas un genre coutumier de l'œuvre de Vaneigem, et s'il en écrit un pour la première fois, il ne peut être que peu commun. Dans ce Voyage en Oaristys, nous péné­trons dans un univers délirant, foison­nant au gré d'une imagination libre et de désirs créateurs. L'univers intérieur de Vaneigem sans doute, celui de sa pensée politique aussi, mise en pratique dans une cité-monde, une cité-oasis où on ne pénètre pas par simple « besoin d'évasion. Il faut, pour y parvenir, em­prunter les voies du cœur. Les autres chemins s'avèrent impraticables ». Les visiteurs du « vieux monde », celui des « sinistres sauriens » ne sont accep­tés que pour de courts séjours desquels ils reviendront « débarrassés de la « nor­malité excrémentielle » et désireux, peut-être, de bâtir partout leur ville où le seul mode de gestion est le désir d'être heureux.

Le narrateur et sa compagne Euryménée, passionnément (comme il se doit) amoureux l'un de l'autre et de la vie, seront admis par l'assem­blée des citoyens (car tout se débat et se décide collectivement) dans ce monde où le temps n'est plus écoulement mesurable, mais « mo­ments de la jouissance, de l'accom­plissement de soi, de la création ». Une « cité des enfants » qui plutôt que de vieillir, ne font qu'évoluer vers « leur propre vérité ». Ce sont les idées développées par Vaneigem tout au long de son œu­vre, et plus « méthodiquement » dans sa Déclaration des droits de l'être humain qui prennent corps dans cette fiction fantasque et fantastique, où la ville et la vie se confon­dent. « Notre ville est conçue comme une unité corporelle, où tous les élé­ments agissent en harmonie (...) chacun des éléments se trouve conforté à la fois par sa propre autonomie et par la solida­rité qu'il entretient avec l'ensemble ». Le seul principe est celui de la liberté créa­trice et exubérante. Nulle croyance n'est interdite, mais il n'y a pas de place pour les institutions mortifères (« Un pays où il n'y a ni temple, ni église, ni syna­gogue, ni mosquée, ni prêtre, ni pasteur, ni gourou, ni rabbin, ni banquier, ni marchand, ni flic, ni militaire »). La soif d'apprentissage est presque obses­sionnelle et la pédagogie s'inspire de l'éducation telle que l'avait conçue Rabe­lais pour Gargantua. Elle continue même sur le pot, comme le constate le narrateur en découvrant des toilettes fa­çonnées en « lettres magnifiquement armoriées ». Ces mêmes pots prenant parfois canaillement la figure de « malfai­sants ». On peut ainsi se soulager sur la tête de Napoléon ou de Lénine, tout comme des déversoirs d'ordure à la gueule de Staline, Hitler ou Pinochet ac­cueillent crachats et déjections diverses. Les chercheurs et inventeurs sont foi­son, tout est bon à étudier, « savoir pourquoi la mer est bleue et connaître l'influence des fées sur la luxuriance d'un jardin ».

Tous travaillent pour la collectivité, trois heures par jour, à la reconversion des habits, des déchets organiques, à l'épuration des eaux usées, au réaména­gement des objets en métal ou en bois. A l'inverse de l'abrutissement du travail organisé dans le vieux monde, il se fait ici avec passion (comme il se doit), et les Oarystiens s'en disputent parfois la faveur.

Un monde parfait ? Pas tout à fait. L'histoire se termine sur le combat de deux « puants » (désignés ainsi à cause de l'odeur de haine qu'ils dégagent), deux « créatures du vieux monde » qui n'ont pas su s'en décrasser. Les Cap­teurs d'Orage mettront fin au combat en déclenchant un éclair qui les réduira en cendres... La commission « crime sans châti­ment » se chargera d'un rapport et l'oraison funèbre sera qu'« il n'y a ni faute ni culpabilité, seu­lement des erreurs ». Est-il vrai­ment possible alors, comme le jure le narrateur en conclusion, de « faire d'Oarystis le monde en­tier » ?

Laurence Vanpaeschen