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Critiques de livres


Daniel CHARNEUX
Vingt-quatre préludes
Editions Luce Wilquin
2004
150p.

De la musique avant toute chose

Auteur de deux romans, Daniel Charneux vient de publier un recueil de nouvelles, Vingt-quatre préludes. Ce n'est pas totalement une première, puisque son deuxième livre, Recyclages, intégrait déjà plusieurs récits courts. Toutefois, l'entreprise se distingue ici par son souci de cohérence et de construction. Les Vingt-quatre pré­ludes en question sont ceux de Debussy, dont l'écrivain décalque la structure et le titre pour mettre en scène des tran­ches de vie — moments de bonheur ou de crise, ruptures, décalages, accidents ou incidents qui composent l'humaine condition. La plupart des nouvelles cor­respondent bien à la définition musicale du prélude, à savoir une pièce de forme libre qui peut servir d'introduction à une œuvre plus vaste mais qui peut aussi se suffire à elle-même. Les meil­leurs textes, en effet, donnent envie d'en savoir plus, d'accompagner quel­ques instants ou quelques pages encore les personnages. Comme il était permis de s'y attendre, presque chaque prélude comporte une allusion explicite à la musique. Dans Danseuses de Delphes, qui ouvre le recueil, un professeur de français joue au piano, à ses élèves, le prélude éponyme de Debussy en guise de préparation à l'écriture d'un poème. Mais d'autres musiques sont également convoquées, parfois nettement plus kitsch ou populaires. Dans Voiles, où une romance se conclut tragiquement, c'est aussi bien Johnny ou Petula Clark que Beethoven et Albinoni. Des pas sur la neige est une sorte de conte de Noël où Daniel Charneux imagine un autre père à Michel Berger. Si dans Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir, la musique n'est présente que par le biais d'un nom (« Elena Bobesco, comme la violoniste qui dirigeait l'ensemble d'archets Eugène Isaïe »), ailleurs elle peut y jouer un rôle décisif, marquant par exemple, dans La fille aux cheveux de lin, le retour d'un personnage à une vo­cation contrariée de danseuse, ou préci­pitant le destin d'un quidam, dans La sérénade interrompue, parce qu'une grande bourgeoise a perçu, à l'écoute du « vingt-troisième concerto de Mozart », l'inanité de sa vie. Moins que les réfé­rences, assez prévisibles, à la musique, ce qui frappe dans Vingt-quatre préludes, c'est l'ancrage dans le réel. L'auteur a soin, en quelques lignes, en quelques mots — mais c'est tout l'art d'un nou­velliste —, de planter un décor, de poser une situation, de camper un per­sonnage. Il évoque des lieux (Bruxelles, Mons, Péruwelz, Liège...), des profes­sions (médecin, professeur plusieurs fois, peintre en bâtiment...), des faits de société (l'immigration, la solitude, le divorce...) qui constituent un cadre fa­milier auquel le lecteur peut s'identifier. Qu'elle soit violente ou non, sombre ou non, l'histoire qu'il écrit n'est pas la nôtre, mais celle qu'un proche ou un ami pourrait vivre ou pourrait nous ra­conter — si naturellement il disposait de la fantaisie et du style qui font d'un homme ordinaire un écrivain. S'il demeure assez sage dans la composi­tion de ses nouvelles, Daniel Charneux ne se prive pas pour autant de jouer avec les mots. En fait, il est manifeste qu'il aime les mots, y compris les noms propres ; il aime les manier, les observer sous tous les angles, ne rien laisser échapper de leur sens, avéré ou ca­ché : « Comment s'appelait le nouveau président (de Roumanie), déjà ? Petre Roman, non ? Ou, alors, c'était leur nou­veau premier ministre. Pierre Romain, en somme. Très latin, comme nom. Très chré­tien, aussi. Petre Roman, comme Pierre le Romain, détenait les clés du paradis, si on veut. Je ne sais pas si c'est resté longtemps le paradis. Mais enfin, ils avaient tué le diable. »

Evidemment — mais c'est un peu la loi du genre —, les Vingt-quatre préludes n'accrochent ni n'émeuvent tous avec la même intensité. Cependant, si certains textes paraissent plus complaisants, moins nécessaires — avec une écriture un peu trop appliquée, voire scolaire —, l'ensemble se parcourt agréablement. Comme disait naguère un chanteur po­pulaire, c'est déjà ça.

Laurent Robert