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Critiques de livres


Patrick Virelles et Alain Régnier
Bestiaire impertinent
Bruxelles
Bernard Gilson éditeur
Coll. "Impertinences"
2005
95 p.

Le carnaval des animots
par Christian Bréda
Le Carnet et les Instants n° 140

Patrick Virelles est gourmand de mots, comme le savent les lecteurs de ses romans ou encore de son Prose en 555 variations. À lire son Bestiaire impertinent, on se dit que le registre de la prose brève sied fort bien à son ramage. Les contraintes propres au « petit format » stimulent et canalisent tout à la fois sa verve.

Né au XIIe siècle, le genre du bestiaire a tenté beaucoup d'écrivains. C'est que, tantôt traité d'histoire naturelle, tantôt recueil de fables, tantôt les deux à la fois, il se prête à tous les tons et permet des variations inépuisables. Il entre aussi dans son jeu une part d'exercice de style, que Virelles assume sans façon.

Voici donc vingt et un portraits d'animaux : onze mammifères, quatre ovipares, un mollusque, un batracien et quatre insectes, tous familiers de nos contrées. Au contraire d'Apollinaire qui chanta dans son propre Bestiaire les vertus du dromadaire et de l'éléphant, Virelles congédie tout exotisme. Il s'agit de donner à voir – et ce n'est pas moins délicat – les créatures qui nous entourent et qu'à force on ne regarde plus, de serrer au plus près leur nature et leur caractère, tantôt par la description, tantôt par un petit récit, souvent par un réseau d'analogies verbales : l'assonance et l'allitération sont très sollicitées, la pirouette et le jeu de mots (certains un peu faciles et d'autres joliment troussés) ne sont pas en reste, l'allusion littéraire entre dans la danse. L'impertinence reste légère, mais l'humour est omniprésent, poivré parfois d'une dose de cruauté.

Le bestiaire n'est jamais loin du fabliau. Parler des animaux, c'est aussi parler des hommes, de la vanité qu'il y a à se croire moins bête que les bêtes. C'est, opérant un renversement swiftien du point de vue, humaniser les animaux et animaliser les hommes. De la cour à la basse-cour, il n'y a souvent qu'un pas ; et entre le cochon au sens propre et son semblable au sens figuré, le plus pourceau des deux n'est point celui qu'on croit. Bien qu'il chicane La Fontaine en passant (a-t-on jamais vu un corbeau s'enticher d'un fromage?), Virelles fait à sa manière œuvre de moraliste – même si sa morale, on s'en doute, prend le contre-pied des catéchismes en vigueur.

À tout bestiaire enfin il faut son illustrateur, telle est la loi du genre. Ici se place une incertitude. Car, dans sa préface, Franz Bartlet écrit que Virelles était le mieux qualifié «pour enluminer les noirs dessins de son souverain compère»; tandis que, sur son site internet, l'éditeur déclare que les proses de l'auteur sont «illustrées par les gravures complices d'Alain Regnier». Lequel précéda l'autre? À vrai dire il importe peu ; et poser la question revient au fond à dire combien les textes de Patrick Virelles s'accordent idéalement – et vice-versa – aux gravures d'Alain Régnier, au trait robuste et fouillés. C'est donc à bon droit que leurs deux noms voisinent à égalité sur la couverture du livre, premier né d'une nouvelle collection dédiée aux noces heureuses du mot et de l'image.