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Critiques de livres

Jean-Luc Wauthier
L'envers du ciel
Dol de Bretagne
Éditions d'écarts
2007
124 p.

Au-delà des frontières
par Mélanie Godin
Le Carnet et les Instants n° 149

L'envers du ciel de Jean-Luc Wauthier vient de paraître aux Éditions d'écarts. Une note brève en liminaire de l'ouvrage donne à lire un précepte majeur illustrant la pensée poétique de l'auteur : issu d'une active réflexion propice à l'émergence de l'imaginaire, l'instant du poème est profondément lié à l'atmosphère des songes. Poète cherchant à percer une part de l'étrange, sa quête s'apparente à un long voyage au pays de la mémoire et de l'oubli.

Travail de composition, les poèmes ont été regroupés en quatre parties distinctes. Formant néanmoins un tout, chaque partie complète l'autre dans le cheminement induit par une pensée en perpétuelle évolution. La première, titre du recueil, révèle une poésie où la figure de la nuit prédomine. Des songes émergent dans un climat de douleur et de profonde solitude : «Et tu restes seul, dans un salon encombré / seul / dans le noir / et la méfiance légendaire / des étoiles mortes». Cette solitude est nécessaire au poète pour retrouver le domaine d'une mémoire absente, de l'enfance oubliée où se terre l'alphabet secret dans les grands livres de nuit. Il sait que c'est en plongeant dans son silence intérieur, source d'angoisse et de mort, que la parole poétique surgira. Solitude de l'agonie et de l'hostilité, elle aussi salvatrice, permettant d'entr'apercevoir dans la soudaineté du monde l'aspect caché du ciel : «Reste la solitude extrême / ce mal têtu qui te sauve / et te fait voir à jamais / l'envers du ciel». Fidèle à ses thèmes et ses images, l'écriture vibrante de Jean-Luc Wauthier plonge le lecteur dans un paysage de clair-obscur où l'ombre et la lumière s'entrelacent en permanence. D'équilibres en déséquilibres continuels, la voix du poète cherche par et dans le langage poétique la trace de l'invisible, la présence de l'autre, le moment de grâce dans la nuit, la pluie impossible d'étoiles, l'unique passage pour atteindre l'autre rivage. Comme dans ses recueils précédents, les mots choisis proviennent d'une réalité usuelle et concrète, traduisant son désir de nommer avec des mots essentiels la présence et l'absence des expériences vécues, souvent ressenties telles des blessures ouvertes dans l'arc du poème. «Le retour à la lumière», titre évocateur de la dernière partie, rappelle les deux premiers poèmes du recueil où le poète qui «n'a jamais pu arracher le bâillon enfoncé / par l'enfance / dans la gorge de l'ombre» appelle ses amis poètes à libérer leur chant. Le lecteur, apaisé par un moment musical où l'écriture se fait plus lumineuse, voit la quête initiée atteindre un niveau supérieur : «Aujourd'hui / tu acceptes / ces arbres destinés au ciel / ces sentiers à l'origine du monde / la transparence du vent / les chants d'oiseaux / dont tu cesses enfin d'être le comptable». La brèche dans le ciel entrouvert dévoile des étoiles nues tournées vers la porte de l'avenir.

À noter que la couverture du recueil évoque la couleur d'un hiver glacé sur lequel est gravé en lettres couleur sang cet envers du ciel. Juste à côté, deux segments rouge et noir, semblables à la ligne d'horizon, cohabitent dans l'instant. Comme à travers une fenêtre. Pour voir de l'autre côté du ciel. Par-delà le poème.