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Critiques de livres

Evelyne Wilwerth
Souriez, vous vieillissez
Erezée
Éditions Mémory Press
2007
65 p.

Écrire ce qu'on dit, écrire pour être dite
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 147

Evelyne Wilwerth n'y va pas de langue morte dans son impératif Souriez, vous vieillissez. Au meilleur de sa forme, elle passe juste à côté de l'invective qu'elle adresserait le cas échéant, non pas aux «vieilles peaux» dont elle entend bien prendre la défense, mais à ceux qui feindraient l'ignorance ou assumeraient aveuglément la bêtise de se croire épargnés par le temps. Elle peut se montrer sévère en effet, envers les indifférents dont elle ouvrira les yeux à grands renfort d'images frappantes voire de caricatures, mais surtout envers les victimes incapables de réaction ou attardées dans un combat d'arrière-garde, aussi ridicule qu'inutile. Elle procède avec méthode. Pour la mise en bouche, elle commence par l'autodérision. Sa représentation de la vieillesse n'est pas trop accablante, «sa» vieille, au départ, n'a que cinquante ans. Mais l'histoire continue, donc elle va vieillir. Et c'est cela le véritable objet du monologue, la progression de l'âge, irréversible, appelant l'impétrant à un constant ajustement. Tout un répertoire d'expressions venues en droite ligne de la pub pour soins de beauté, soins anti-âge, et autres recettes réparatrices, sont utilisées dans un contexte désopilant qui constitue en soi le meilleur remède contre toute contrariété, fût-elle l'insupportable obligation de vieillir. Car en somme, aux femmes atteinte de cette calamité, l'auteure recommande entre autres solutions, le modèle réconfortant d'une aïeule adorée dans l'enfance, un animal jouet, un bon diagnosticien pour les aléas de santé, un amant jeune au Sud, l'art d'être grand-mère, ce qui, en définitive, permet de faire un bras d'honneur aux dortoirs-mouroirs.

Laurence Vielle
Récréation du monde
Bruxelles
Éditions Maelström
coll. "Bookleg"
2007
47 p.

Plus sérieusement, sans se défaire toutefois du sourire, elle analyse les causes de ce mal plus grave que tous les autres qui consiste à se soumettre à la «défense de vieillir» et qui pousse à tant d'errements. Le pamphlet n'est pas loin. Mais la conclusion est une proposition de paix et d'échange entre les générations. Pour un texte qui se veut polémique, tout est bon et l'oral vient à point quand il faut donner de la voix.

Tout autre est le dit de Laurence Vielle, Récréation du monde. La voix, ici, a peut-être précédé l'écrit ou elle ne cesse de le nourrir, car, une fois écrite, une fois dite, la poésie court avec le vent et échappe à la mesure. «Vivre une seconde ou mille ans, c'est la même chose» : on ose «dire» cela, car le dit de la marche fait avancer, fait voler, fait rêver… Plus dérangeant peut-être, le contraire de la marche, le frottement au danger, la chute, mais ça se panse et ça guérit. Laurence Vielle aime dire, écrire une poésie où quelque histoire se raconte, jouer de la répétition. Pas besoin de musique, elle la crée. Parfois son texte se réduit au seul son, les syllabes s'échappent des mots, douées d'une vie autonome. Mais elle aime aussi s'amuser avec le sens des mots, jouer des associations diverses, de l'eau aux larmes, mais en passant par la mer, le boire, la lessive, la pêche, l'île, la grenouille… sans oublier le souci écologique. L'éventail est large des envies, des aspirations; la légèreté infinie. On trouve aussi de vieilles dames dans cette Ré-création, de pincées, de méchantes, qui font peur, mais pas longtemps. Le texte lui-même intitulé «Récréation du monde» est emblématique du recueil. Tandis que la «Clac épopée», mine de rien, se met en route vers le tragique. Tant de belles trouvailles et ce langage inédit où «les jardins aboient…» signalent une verve personnelle et poétique. Ces deux textes très différents, celui d'Evelyne Wilwerth et celui de Laurence Vielle, ont au moins en commun de lancer un hymne à la vie qui entend composer avec la mort et imposent, dans l'enthousiasme verbal, un respect de soi tel que l'on est.