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Critiques de livres

Liliane Wouters
Paysage flamand avec nonnes
Paris
Gallimard
coll. Haute enfance
2007
179 p.

De retour à la source
par Mélanie Godin
Le Carnet et les Instants n° 150

Née à Bruxelles en 1930, Liliane Wouters est sans conteste l'un des auteurs les plus importants de la scène littéraire belge. Distinguée par de nombreux prix littéraires, sa bibliographie laisse rêveur : près d'une quinzaine de titres (poèmes et pièces de théâtre) et une dizaine d'anthologies composées seule ou en collaboration depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui. Dans Paysage flamand avec nonnes, elle ajoute une nouvelle corde à son arc d'auteur confirmé et estimé en publiant un long récit en prose sur ses années de formation passées à l'École normale de Gijsegem – appelé «Giesland».

Issue d'un milieu modeste où elle jonglait entre le français à l'école et le flamand dans le milieu familial, elle poursuivit cette expérience bilingue en entrant en 1944 à l'école normale d'institutrices pour une durée de cinq ans. Heureuse de continuer des études, Liliane Wouters suivra un enseignement bilingue dispensé par des religieuses où les élèves (francophones et néerlandophones) vivaient et apprenaient ensemble selon la stricte devise de l'internat «Ora et labora».

Cette plongée dans les souvenirs d'années d'apprentissage coïncide avec le retour de la liberté du pays. L'évocation de ce lieu d'antan où plane une odeur de mélange de javel, de pommes, d'encaustique et d'encens plonge le lecteur dans une atmosphère brueghelienne où les saisons se déclinent dans le souvenir vif d'instants uniques. Comme elle l'écrit à la fin du livre : «Si l'âge efface la plupart des souvenirs – sauf leurs moments les plus intenses –, il ranime ceux de nos premières années.» En déterrant les racines de ses années enfuies au plus profond de sa mémoire, Liliane revient sur ses amitiés, ses premiers éveils amoureux comme ses premières frustrations, mais aussi, ses idées noires, sa peur de la mort, ses tourments et ses doutes par rapport à sa foi, qui persisteront au-delà des années d'internat. Giesland, paysage austère de privations et de liberté compromise, mais où paradoxalement les jeunes pensionnaires étaient «fortes et soudées» et où «chacune avait sa place» pour s'exprimer. Giesland, lieu de rencontres uniques qui orientent le cours d'une vie comme quand son professeur, Melle Bolet, lui révèle qu'elle a «l'étoffe d'un écrivain» ou encore quand elle prend conscience de son don d'écriture et décide de l'assumer pleinement.

Plus qu'un simple autoportrait, elle régale le lecteur avec des anecdotes croustillantes issues d'un temps révolu sur un ton teinté d'humour et de douce légèreté. Parmi elles, une leçon donnée par une soeur à l'oeil de verre rebelle, la mort accidentelle d'un militaire ou la venue étonnante de nombreux soldats écossais en kilts et calots à rubans. Telle une fresque sur la vie d'une collectivité en vase clos, de nombreux portraits de femmes scandent le récit. Kyrielles d'observations douces-amères, le témoignage de Liliane est un réel hommage aux nonnes qui l'ont tant influencée même si «leurs cornettes, souvent, leur ont servi d'oeillères».

Giesland, marque indélébile dans le corps et l'esprit de l'auteur, est «comme un livre dont a marqué la page». Source de force dans les moments difficiles de son existence, il est aussi source de contrastes avec sa vie, celle d'après, où «l'arbre du bien et du mal» ne s'est pas toujours dressé «au milieu de la route».

Dans un Carnet précédent, Jack Keguenne soulignait à juste titre qu'il eût fallu un jour que quelqu'un se penche sur cette voix de femme qui a cristallisé le destin de bien d'autres en cette moitié de siècle. Liliane Wouters vient d'y apporter sa touche en nous offrant un récit éclairant et d'une grande beauté sur les prémices fondatrices d'une vie de femme et d'auteur accomplie. Essentiel pour tout lecteur qui souhaite pénétrer dans l'univers de cet écrivain belge de renommée.